Entre 2013 et 2014, la Polynésie française est frappée par la première épidémie d’ampleur de Zika. Sur cet archipel d’à peine 270 000 habitants, environ 32 000 personnes auraient été infectées par le virus. Les autorités estiment aujourd'hui que plus de 60 % de la population ont été immunisés.
Au départ, les autorités et les professionnels de santé pensaient que l’épidémie serait bénigne. Mais très vite, le Dr Van-Mai Cao-Lormeau, virologue au pôle de recherche et de veille sur les maladies infectieuses émergentes de l’Institut Louis Malardé (Papeete, Tahiti) et ses collègues décrivent la dangerosité de ce virus.
Comment s’est déclarée l’épidémie de Zika en Polynésie française en 2013 ?
Dr Van-Mai Cao Lormeau : Cette année là, une épidémie de dengue s’est déclarée. Ici, les médecins et la population sont habitués à la symptomatologie de cette maladie (forte fièvre accompagnée de maux de tête, de nausées, de douleurs articulaires et musculaires et d’une éruption cutanée ressemblant à celle de la rougeole, ndlr). Or, en octobre 2013, les cliniciens relèvent que certaines personnes infectées présentent une fièvre modérée et des éruptions cutanées particulièrement urticantes. En outre, nous savions que des malades avaient déjà fait une dengue de sérotype 1 ou 3 les années précédentes, et étaient donc immunisés contre ces souches. Nous avons donc supposé qu’un autre agent infectieux circulait. Nous n’avons pas cherché d’emblée le virus Zika mais grâce à notre étroite collaboration avec la Micronésie, victime d’une épidémie en 2007, nous avions la technique de laboratoire permettant de le détecter. C’est ce qui nous a permis d’identifier rapidement le virus.
Vous étiez donc prêt à y faire face ?
Dr Van-Mai Cao Lormeau : Nous avions tous en tête que l’épidémie allait être bénigne. Mais nous sommes allés de surprises en surprises. Quelques semaines après le début de l’épidémie de Zika, nous avons observé l’apparition de syndromes de Guillain-Barré (une complication neurologique provoquant une paralysie progressive, ndlr). Au total, 42 personnes ont été atteintes. C’était un phénomène nouveau auquel on ne s’attendait pas. Nous avons mis un certain temps avant de documenter ces cas car lorsqu’ils se sont présentés à l’hôpital, ils n’avaient plus de virus dans le sang. De fait, on sait aujourd'hui que le syndrome de Guillain-Barré peut se déclencher 8 semaines après l’infection. Nous avons donc dû prouver que ces personnes avaient été infectées par Zika.
Avec le Brésil, vous êtes le seul territoire à avoir identifié une hausse anormale des cas de microcéphalie. Mais vous ne l’avez pas observée immédiatement. Pourquoi ?
Dr Van-Mai Cao Lormeau : Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, ils ne sont pas survenus au moment de l’épidémie, mais en 2014. Et bien qu’ils étaient repérés par les pédiatres, il était très compliqué de faire le lien entre ces cas et l' exposition in utero au virus Zika. Par ailleurs, personne ne s’attendait à de telles conséquences.
C’est au moment où le Brésil a rapporté à la fois l’épidémie de Zika et une forte augmentation des cas de microcéphalie que nous avons lancé des investigations rétrospectives, et détecté ces malformations congénitales. Au total, 18 cas de malformations congénitales chez des fœtus ou bébés dont les mères étaient enceintes pendant l’épidémie de Zika ont été rapportés. Parmi eux, 13 nourrissons ont présenté des malformations sévères dont des microcéphalies. Le nombre n’a pas encore été précisé car des investigations cliniques sont encore en cours.