Mangez des carottes pour éviter Alzheimer. Buveurs de thé vert, vous avez plus de chance d’être protégés du cancer de la prostate.Tomate, chocolat : vos armes contre l’AVC. Les affirmations sur les bienfaits des antioxydants, vitamine E, lycopène et autres caroténoïdes, inondent régulièrement les médias. Etayées par la publication d’études scientifiques, elles établissent un lien net de cause à effet. Pourtant, parmi les nombreuses recherches menées ces dernières années, certaines ont donné des résultats contradictoires.
Ainsi, la vitamine E a-t-elle été un temps remboursée par la sécurité sociale pour son action dans la réduction du risque cardio-vasculaire. Ce rôle protecteur prouvé par certaines études a été mis en doute par d’autres, jetant ainsi une ombre sur le marché juteux des compléments alimentaires.
« Sur un plan mécanistique, il y a une hypothèse réelle et vérifiée, assure le Pr Serge Hercberg, de l’Inserm. Les antioxydants empêchent les radicaux libres, ces dérivés de l’oxygène que nous respirons, de s’attaquer aux composés de nos cellules et de favoriser des processus pouvant aboutir à des pathologies », cancers, maladies cardio-vasculaires ou liées au vieillissement. En clair, les mécanismes agissant au plus petit niveau, celui de la cellule humaine, sont bien identifiés in vitro.
Mais la réalité du fonctionnement humain est beaucoup plus complexe, rendant l’impact sur la santé difficile à évaluer. « Beaucoup d’informations nous manquent sur les apports d’antioxydants, leur absorption, les interactions in vivo », explique Serge Hercberg. Ce spécialiste espère que Nutrinet, le vaste programme de recherche qu’il coordonne,basé sur l’observation du régime alimentaire de 500 000 participants, permettra de mieux appréhender les subtilités d’action des molécules.
Ces résultats futurs ne viendront que s’ajouter aux nombreuses autres données scientifiques. Car, en nutrition, comme le rappelle le Dr Jean-Michel Lecerf, chef du service nutrition à l’Institut Pasteur de Lille, « le niveau de preuve est toujours basé sur un ensemble de faits ». Constatant la complexité des relations entre alimentation et santé, le monde scientifique s’est forgé une méthodologie prudente.
Ecoutez le Pr Serge Hercberg, directeur de recherche à l'Inserm et responsable de Nutrinet : « Ce n’est pas surprenant d’avoir des différences d’une étude à l’autre ».
L’exemple du lycopène, antioxydant présent dans la tomate, est démonstratif. Lors d’une étude d’observation, si un lien est constaté entre la consommation de tomate et la diminution du risque cardiovasculaire, on peut conclure deux choses : soit que le lycopène a un effet protecteur, soit qu’il est un simple marqueur d’une alimentation. Si l’on réalise une étude d’intervention, où l’on administre à des individus soit du lycopène pur, soit un placebo, ne pas constater d’effet protecteur sur le coeur et les vaisseaux ne voudra pas forcément dire que le lycopène est inefficace, mais peut-être qu’il a été surdosé ou qu’il n’est protecteur qu’au sein d’un aliment.
Interactions, facteurs génétiques, facteurs de risque : ces paramètres font varier les effets des antioxydants d’une personne à l’autre. Une disparité dont les résultats discordants des études ne seraient que la manifestation visible. « On recommande aujourd’hui une approche plus globale, plutôt que de pointer telle ou telle substance contenue dans les aliments, qu’on pourrait ensuite prendre sous forme d’un comprimé », résume Serge Hercberg.
Ecoutez le Pr Serge Hercberg : « il n’y a aucune justification à un apport en compléments ou suppléments à la population générale ».
Ce ne serait que sous l’action conjointe d’autres molécules ou des fibres, naturellement contenues dans l’alimentation, que les antioxydants trouveraient leur puissance protectrice. Exit l’indigestion de compléments alimentaires : les recommandations misent sur les bienfaits naturels d’une menu riche en fruits et légumes.