« L’esclavage moderne existe dans notre pays. » La phrase n'est pas anodine et résume bien le constat glaçant sur la traite des êtres humains en France. Elle émane de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), qui émet ce 10 mars un rapport à ce sujet. Loin des idées reçues, sur la prostitution et le proxénétisme, le texte souligne les nombreux visages de cette exploitation d'autrui. Face à ces faits encore trop courants, le pays se montre trop complaisant.
Pas moins de 516 infractions relevant de l'esclavage moderne ont été relevées entre janvier et mai 2015. Sans surprise, le proxénétisme figure en tête. Mais les conditions de travail ou d'hébergement indignes sont également nombreuses. La CNCDH souligne le signalement encore trop rare des cas de traite d'êtres humains, sans doute à cause du fait que les victimes ne s'identifient pas comme telles. « Les faits sont dès lors très largement sous-rapportés », constate le rapport.
Source : CNCDH
L'absence de politique publique
Mais l'Etat a aussi son rôle à jouer dans ce manque de reconnaissance des victimes. La CNCDH n'hésite pas à épingler l'inaction des autorités dans la lutte contre la traite des êtres humains. Le Plan d'action 2014-2016 est encore loin d'être effectif et les quelques mesures lancées n'ont pas été mises en place. « Au moment où ce rapport est publié, la France n'est toujours pas dotée d'une politique publique à part entière de lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains », déplorent les auteurs.
Des actions sont pourtant possibles. La Commission plaide, par exemple, en faveur d’une poursuite plus systématique des auteurs de la traite et du démantèlement des réseaux. Mais cela sera impossible sans une meilleure protection et prise en charge des victimes, martèle-t-elle. Les associations d’aide à celles-ci doivent recevoir davantage de moyens. Des campagnes d'information vers la société civile sont aussi nécessaires. La CNCDH propose donc de faire de la lutte contre la traite des êtres humains la grande cause nationale de l'année.
Les victimes inconnues
L'autre principale orientation de ce document, c’est bien de lutter contre les idées reçues autour de l’exploitation des êtres humains. Ainsi, les réseaux organisés – souvent évoqués – coexistent avec les familles de classe moyenne originaires d’Afrique ou d’Asie et les Français revenus d’expatriation. Le rapport souligne aussi qu’un tiers des condamnations prononcées entre 2009 et 2013 concernaient des femmes.
« Si l’exploitation sexuelle est une forme importante d’exploitation, elle ne recouvre pas l’ensemble des phénomènes », lit-on. De fait, esclavage domestique, ateliers clandestins, mendicité forcée et délinquance pour le compte d’autrui, sont autant de réalités que la France connaît au quotidien. En 2013, 420 affaires de traite ont été recensées par les services judiciaires. Au total, 781 individus ont été condamnés. Le nombre de victimes, particulièrement des mineurs, reste méconnu.