Un mort et quatre blessés. Alors que des milliers d’essais de phase 1 sont menés chaque année dans le monde, l’accident survenu au cours d’un essai clinique à Rennes en janvier dernier est sans précédent. Trois enquêtes ont été lancées après le drame, pour faire la lumière sur les circonstances de cet accident.
L’Inspection générale des affaires sociales a rendu ses conclusions, au début du mois de février dernier. Présenté par la ministre de la Santé elle-même, le rapport ne mettait pas en lumière d’erreurs de la part du promoteur, Biotrial, dans la conduite du protocole. L’IGAS relevait cependant des manquements dans la gestion de la crise, dès lors que le patient, décédé depuis, avait présenté des premiers symptômes. Marisol Touraine avait alors demandé trois modifications dans la conduite des essais cliniques, dont une meilleure information des volontaires.
Des éléments "surprenants"
Le rapport du comité d’experts nommés par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) est lui beaucoup plus critique sur le protocole, établi par le laboratoire Bial, pour tester sa molécule, BIA 10-2474. Présidé par le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à l’université de Bordeaux , et composé de 12 experts, le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) a passé en revue de nombreux points, théoriques et pratiques, de la procédure.
« Inhabituelle », « surprenant » : au fil des 16 pages, rendues publiques le 7 mars, les scientifiques pointent de nombreuses anomalies. De la dose administrée aux volontaires, à leur recrutement, beaucoup de zones d’ombre persistent. Le laboratoire Bial a été prié de fournir des données complémentaires avant que les experts ne rendent leur rapport définitif, le 24 mars prochain.
Mais Bernard Bégaud reste perplexe : « On ne sait pas si nous les obtiendrons. C’est maintenant devenu assez compliqué. Le laboratoire n’aura sans doute pas apprécié que nous ayons rendu public ce rapport. Ils savent que tout ce qui peut être dit ou écrit peut maintenant jouer contre eux face à un juge. »
En effet, un des volontaires qui a subi des atteintes neurologiques a déjà annoncé sa volonté de porter plainte contre le laboratoire, et l’avocat de la veuve du patient décédé a pour sa part convoqué la presse ce vendredi, vraisemblablement pour annoncer également une action en justice.
Difficile d'interdire un essai
Si le protocole de Bial contenait autant d’éléments suspects, comment se fait-il qu’il ait été validé par l’ANSM, et le Comité de protection des personnes (CPP) ? Les autorités sanitaires ont-elles falli ? Pour Bernard Bégaud, la question est plus compliquée. « Pour commencer il faut bien voir que nous avons travaillé pendant 3 semaines, avec des experts issus de disciplines différentes pour mettre en évidence tous ces éléments. Quelle agence sanitaire dans le monde pourrait bien déployer autant de moyens pour analyser chaque demander d’autorisation qui lui est adressée ? », demande-t-il.
A noter que les experts ont pris la peine de préciser dans leur document que l’analyse de certaines données s’était avérée « complexe ». « On a effectivement eu du mal à retrouver certains éléments, les chiffres n’étaient clairs », commente Bernard Bégaud.
Mais même si l’ANSM avait mis en évidence certaines des incohérences finalement mises en lumières par le CSST, l’essai aurait sans doute tout de même eu lieu. « L’Agence n’aurait pas pu interdire l’essai sur la base de ces éléments, admet Bernard Bégaud. L’investigateur peut contester ce type de décision devant un tribunal administratif, et il a de fortes chances que l’autorité sanitaire soit déboutée ».
Amer constat d’impuissance. Si l’Agence en charge de la sécurité du médicament ne peut s’opposer à des protocoles non seulement discutables en terme d’intérêt scientifique mais surtout dangereux, qui le peut ?
Une évolution délétère
Pour ces spécialiste, de telles aberrations sont liées à une mutation de la recherche clinique qui s’observe depuis 10-15 ans. « La structuration financière des laboratoires fait qu’aujourd’hui l’essentiel est de rassurer les investisseurs pour faire rentrer les capitaux, explique-t-il. Avant on développait un concept, on le validait chez l’animal et après on passait à l’homme. Aujourd’hui, on se contrefiche de la pharmacologie, on dépense plusieurs millions en tests toxicologiques, et on passe chez l’homme en espérant finir par trouver une indication. C’est absurde ».
Les experts veulent aujourd’hui que le drame de Rennes conduise à des modifications de la réglementation en vigueur. Les scientifiques insistent sur le fait que ces changement n’allongeraient pas les délais ni n’ augmenteraient les coûts des essais.
« On demande simplement que quelques points fondamentaux, tels que le calcul de l’escalade des doses par exemple, deviennent des pré-requis obligatoires. Cela permettrait aux agences de faire des analyses plus solides des dossiers », explique Bernard Bégaud, avant d’ajouter « je serais vraiment triste que ça n’évolue pas ». Le pharmacologue avoue cependant avoir peu d’espoir. « Il paraît que les crises doivent faire évoluer les choses, mais l’expérience montre malheureusement qu’il se passe rarement quelque chose. Ce sont souvent les lobbies qui gagnent. »
"Il paraît que les crises doivent faire évoluer les choses...."
Posté par Pourquoi docteur sur samedi 12 mars 2016