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Les poils s'envolent avec l'air du temps

Par La rédaction

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Les humains sont les seuls mammifères à avoir des poils sur les zones génitales. Ces poils sont associés à des glandes sudoripares très spéciales qui émettent des hormones odorantes destinées à stimuler le désir du sexe opposé. Les effluves aphrodisiaques s’écoulent alors le long de la pilosité pubienne pour appâter le quidam, à condition évidemment que l’hygiène ne soit pas trop acharnée.

Chez les femmes, les poils des aisselles piègent les odeurs et possèdent sans doute une autre fonction essentielle : grâce à l’odeur maternelle qu’il reconnaît dès sa naissance , le bébé se familiarise avec sa mère, s’apaise et déclenche un réflexe de succion.


Les poils de barbe et de moustache ne servent à rien, si ce n’est à mettre en valeur la bouche en soulignant les lèvres et à brandir un panneau indicateur « mâle en puissance », repérable de loin. L’éthologue Desmond Morris estime de ce fait qu’un homme rasé paraît moins agressif et gomme l’expression la plus particulièrement visible de sa virilité et …de sa sexualité. A raison de dix minutes par jour de rasage, les hommes passent trois mois de leur vie entière à domestiquer leur étendard velu.


Pourquoi traquer les poils ? « L’homme est un singe qui a trahi », reconnaissait déjà le philosophe et écrivain roumain Cioran. Il suffit d’observer nos cousins chimpanzés pour constater que nous avons laissé des plumes au cours de l’évolution et perdu pas mal de poils, jusqu’à devenir des singes nus.


Figurez-vous que nos poils sont les vestiges des anciennes écailles portées par les sauriens. Comme tous les ongles, sabots, plumes, griffes et cheveux de la création, ils sont essentiellement constitués d’une protéine soufrée dure et insoluble dans l’eau, la kératine.

Pendant des centaines de milliers d’années, la sélection naturelle a fabriqué des peuples de moins en moins velus, avec des asiatiques, des indiens ou des africains pratiquement imberbes, et d’autres hommes un peu plus poilus. Sans doute une question de sensibilité aux hormones mâles qui orchestrent le développement de la pilosité à partir de la puberté.

La culture s’en est mêlée aussi et les poils ont toujours fait l’objet de domestication, même chez les peuples dits primitifs. Dans Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss raconte que les Caduveos du Brésil vouent une véritable phobie au poil, allant jusqu’à s’épiler sourcils et cils. Tous les peuples ont éradiqué les poils, les associant à l’animalité, à l’exception peut être des mexicains. Les femmes de colons espagnols laissaient pousser leur toison, y compris sur les jambes ou la moustache pour se distinguer des indiennes considérées de race moins noble que la leur.
En Occident, la mode des jambes rasées a suivi celle des bains de mer et des jupes courtes en 1920. Mais c’est avec les bas nylon et la fin de la guerre qu’elle s’est ancrée pour toujours dans le cœur des femmes. Au point que le comble du négligé, c’est maintenant de ne pas s’épiler.

Les poils du pubis ont subi un sort particulier. Dans toutes les cultures et de tout temps, ils sont irrémédiablement associés à la sexualité. Ils montrent explicitement que l’individu a atteint sa maturité sexuelle. Ils annoncent le sexe, soulignent le sexe, le mettent en valeur. D’où la nécessité de le camoufler. Et quand la mode s’en mêle, la chasse est sans fin.  On voit de plus en plus de jeunes femmes se faire épiler. Elles ne se sentent pas « nettes », quand elles ne sont pas dégagées. Qu’elles soient influencées par la pub, le porno ou la religion ( l’épilation du pubis est préconisée par l’Islam), le  résultat est là : des coupes minimalistes rectangulaires ( façon ticket de métro), des tailles brésiliennes ( la même chose avec un petit triangle au dessus) , ou rien du tout, comme la petite fille, pure et virginale.


Les psychanalystes tentent des explications sur les motivations inconscientes qui les animent. « Cette traque du poil se présente comme une tentative de retour au paradis perdu que seraient l’enfance, la nudité, la pureté, une régression à un stade prépubertaire indique le psychanalyste Francis Hofstein, » (1). 

Notre société rejetterait aussi la bestialité et certains fantasmes de violence érotique, illustrée par «  la différence entre l’homme ours en peluche, au doux pelage et l’homme gorille, velu, menaçant, fascinant ».

Les hommes eux-mêmes n’échappent pas au diktat du lisse via la publicité et le rôle joué par le milieu gay. Eux aussi se rasent, s’épilent et se laserisent ( les épaules, le dos, le buste, et même le pubis). Tous les éléments semblent donc ligués contre ce passé animal, favorisant une mise à nu intégrale !

(1) Le Monde, 12 Octobre 2005. Francis Hofstein est auteur de L’amour du corps, éd. Odile Jacob.