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Entretien avec Thérèse Hargot

Les enfants souvent exposés à la culture porno

Par La rédaction

Après la libération sexuelle, les jeunes sont aujourd'hui confrontés à de la pornographie de plus en plus tôt. Pour la sexologue, Thérèse Hargot, cette culture tue la transgression.

Wavebreakmedia/pix5

Pourquoidocteur a demandé à la philosophe Thérèse Hargot, sexologue, intervenante en milieu scolaire de décrypter pour nous la nouvelle donne. Elle est l’auteur d’Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) qui vient de paraître chez Albin Michel.

Pensez-vous que les ados confondent la vraie vie et le porno ?
Thérèse Hargot - Certains spécialistes tempèrent l’impact de la pornographie sur les jeunes ( il y a le modèle des parents qui montre le respect hommes/femmes) et d’autres observateurs plus alarmistes, j’en fait partie. Ce qui m’inquiète, ce n’est pas qu’un jeune de 16 ans regarde un film porno et confonde le film avec la vraie vie. Non, c’est que, désormais, ce sont des enfants de 7 ou 8 ans qui le font ! La pornographie a changé à cause d’internet. Tapez sur google « homme tout nu » et vous serez bombardé d’images choquantes et de sites pornos. 

On ne parle donc plus de l’impact du X sur un lycéen, mais sur un enfant en CM1 ou CM2. Qu’est-ce que ça fait à un esprit immature d’entrer dans la sexualité avec ces images-là ? Dans les années 80, on a connu la génération sida. A tous ces jeunes, on a dit « attention vous pouvez mourir ou donner la mort si vous ne prenez pas vos précautions ».
Aujourd’hui, c’est la génération Youporn. Il existe une véritable culture porno, les clips musicaux, la pub, les réseaux sociaux, véhiculent ces idées et les renforcent, sans donner le mode d’emploi qui va avec. La loi interdit l’exposition des mineurs à des images pornographiques, elle n’est pas appliquée en France.

Que redoutez vous finalement ?
Thérèse Hargot - Mai 68 et la révolution sexuelle ont permis d’échapper à la chape de plomb sur la sexualité et à la culpabilité qui y était liée ( transmise par l’éducation ou la religion). Aujourd’hui, on y revient. On n’est plus dans le cas de l’enfant qui regarde par le trou de la serrure pour découvrir « le grand mystère ». L’arrivée des smartphones a tout changé. Il n’y a même plus de transgression. Or, une chose est de transgresser un interdit -que l’on sait interdit-, une autre est de ne même pas formuler son désir qu’on est assailli d’images. 

L’impact sur l’imaginaire de l’enfant est énorme. Le jeune qui voit ces images est ému sexuellement, il va ressentir du plaisir (éventuellement par la masturbation) tout en se sentant coupable de regarder ces images. Que deviendront cette culpabilité et ce mal-être ? Nul ne le sait pour l’instant, il faudra peut-être attendre une génération pour en observer les effets sur la société et en mesurer l’impact réel sur la personne.

Vous expliquez aussi que les jeunes sont dans la course à la performance...
Thérèse Hargot - La pornographie véhicule le culte de la réussite avec tous les clichés qui vont avec. La jouissance est posée comme finalité de l’acte sexuel. Les hommes comme les femmes deviennent des objets sexuels. Pour des collégiens ou des lycéens qui cherchent à éprouver leur virilité ou leur féminité, cela se traduit par la volonté de prouver qu’eux aussi, ils sont « capables » . Se masturber devant les autres, exhiber ses seins, pratiquer des fellations au collège, prendre du Viagra, tout cela n’est pas anecdotique ! Je travaille sur le terrain, je l’ai constaté. 

Vous parlez d’un retour des vieux stéréotypes. Lesquels ?
Thérèse Hargot : Alors que la société des adultes revendique l’égalité homme/femme, chez les jeunes, les préjugés continuent. A Paris, dans un lycée en 2016, dans un quartier chic, pas en banlieue, on peut encore entendre : « Madame, elle s’habille comme une pute, qu’elle ne s’étonne pas après », « il faut bien qu’on tâte la marchandise » , «  les filles qui couchent avec des garçons sont des salopes » , « les garçons qui couchent avec les filles sont des beaux gosses ». Ces propos régressifs, je les entends régulièrement.

Ca pose une question cruciale, celle du consentement. A partir du moment où le garçon reçoit le signal qu’une fille est séduisante ou séductrice, c’est qu’elle est « disponible ».Un sondage récent réalisé pour l’Association Mémoire traumatique et victimologie montre qu’un tiers des 18-24 ans considère que « les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d’une relation sexuelle ». Une autre manière de dire qu’elles l’ont bien cherché !