En 2015, l'Ordre des Médecins recensait 192 déserts médicaux dans lesquels vivent près de 2,5 millions de personnes. Pour trouver des successeurs, les élus redoublent d'imagination. Florilège.
Le 9 février dernier, l’Association des Petites villes de France (APVF) a relayé un cri de désespoir. Celui des maires de petites communes françaises, de plus en plus confrontées à l’insoluble problème des déserts médicaux. Vieillissement des praticiens, difficulté à trouver des remplaçants, insuffisance de l’offre (particulièrement en médecine spécialisée) sont autant de raisons qui expliquent la pénurie en médecins. Et cette situation touche une large partie de l’Hexagone, elle concernerait près de 70 % des communes ayant répondu au questionnaire de l’APVF.
La difficulté a été confirmée récemment par les chiffres de l’Ordre des Médecins (CNOM). Dans son Atlas de la démographie médicale 2015, il recensait 192 déserts médicaux dans lesquels vivent près de 2,5 millions de personnes ! Sont concernés des communes péri-urbaines ou limitrophes d’une grande ville, ou d’une métropole, mais surtout, beaucoup de territoires ruraux.
Les édiles et les futurs médecins retraités sont de plus en plus prêts à tout pour conquérir le cœur de successeurs. Pourquoidocteur a enquêté sur les méthodes les plus insolites.
37,1°, la météo idéale en Saône-et-Loire
Comme le montre notre reportage dans l'arrondissement d'Autun, la Saône-et-Loire (+556 000 habitants) fait partie des départements touchés de plein fouet par la désertification médicale. D’après les statistiques de l'Ordre, le nombre de généralistes y est en baisse de 13,1 % depuis 2007. Leur densité est tombée à 7,5 pour 10 000 habitants, contre 13,3 au niveau national.
Pour tenter de juguler la crise des vocations, les autorités locales ont misé en 2013 sur un dispositif original : un site, installeunmedecin.com, à destination des étudiants en médecine, des professionnels de santé, des communes et intercommunalités. Le dispositif prévoit des mesures financières pour tous les professionnels de santé avec notamment un chèque à l’installation, plafonné à 5 000 euros (1), pour financer une partie des frais d’équipement. Pour les étudiants, le dispositif offre deux bourses d’études, ainsi que des aides afin de financer les frais liés au logement et à la mobilité pendant les stages. De plus, les collectivités de Saône-et-Loire se voient octroyer par le département une aide pour financer le recours à un cabinet de recrutement et une subvention pour la construction ou la rénovation de locaux médicaux.
Plus drôle, le conseil départemental va jusqu’à offrir un week-end Instal’box de 2 jours pour que d'éventuels successeurs découvrent le département en famille. Ce séjour aurait convaincu récemment une médecin d’origine lettone de s’y installer. Enfin, la campagne « 37,1°, température idéale pour s’installer en Saône-et-Loire », accompagnée d’un visuel décalé et humoristique, ont également créé le buzz.
Les réseaux sociaux comme dernière chance
Mais au-delà du web et de la télé, des communes au bord de la crise de nerfs se sont aussi emparées d'outils encore plus modernes afin d’attirer les médecins. Parmi eux, les réseaux sociaux.
A Fréhel, un village des Côtes-d'Armor de 1 500 habitants, le pharmacien a récemment posté une annonce sur leboncoin pour des généralistes et monter une maison médicale d’ici 2017. « La commune de Fréhel recherche deux médecins ou plus en raison du futur départ en retraite de deux médecins sur les trois présents », écrivait-il en août dernier. Six mois après, l’offre n’a toujours pas trouvé preneur, même si le pharmacien indique qu’il a plusieurs touches. Plus désespéré encore, un médecin de Saulnot (Haute-Saône) propose depuis plusieurs jours, sur le même site, son cabinet médical. D’une superficie de 300m2, il cède aussi matériel et clientèle contre... aucune contrepartie ! « À 66 ans, je joue les prolongations, mais mon éthique ne m'autorise pas à abandonner ma patientèle », a expliqué le Dr Laine, qui a pris la décision d'arrêter suite à un AVC.
Sur Facebook en revanche, le seul généraliste du village de La Garnache (Vendée) a, lui, trouvé son successeur grâce au plus connu des réseaux sociaux. A ce sujet, on peut souligner que les initiatives originales sont monnaie courante dans le Grand Ouest puisqu’en juin 2014, la commune de Limerzel (Morbihan) avait tourné un faux journal télévisé pour attirer des professionnels de santé. Et en juin dernier, l’ARS de Bretagne a même organisé un « généraliste dating ».
Mais la plus originale de ces initiatives est sans doute arrivée il y a quelques jours. À défaut d’un médecin généraliste, la mairie de La Roche-Derrien (Côtes-d'Armor) a annoncé le 18 mars qu'elle avait recruté un « druide guérisseur »... Avant d'avouer que tout était faux et qu’il s’agissait d’une opération de communication montée pour dénoncer la pénurie de médecins en région. Alors, dans l’optique de centraliser toutes ses demandes, le site TrocUnDoc a également été créé. Le mois dernier, Marie Bigourdan, à l'origine du projet, revendiquait avoir franchi la barre des 1 500 annonces ! Avec une bonne évolution de surcroît puisque 500 annonces ont été postées en à peine 2 mois (janvier - février) « c'est notre record », précisait-elle. Une preuve de plus que beaucoup de médecins sont concernés par la pénurie de successeurs.
Enfin, à Lucenay-l'Evêque (71), le Dr Cécile Gogué-Meunier a bien cru avoir trouvé la solution miracle il y a quelques années. Il s'appelait "Serguei", un médecin roumain recruté par un chasseur de têtes pour s'installer dans la commune. Espoir vite déçu puisque ce praticien est parti du jour au lendemain. Il a bien évidemment prévenu la généraliste, mais la veille de son départ ! Cette anecdote n'est pas sans rappeler une autre histoire d'amour avortée entre les médecins étrangers et la France. On se souvient tous d'une autre généraliste des Carpates qui s'était dit humiliée lors de son entretien avec l’Ordre des médecins vendéen. Alors qu'elle devait s’installer dans ce désert médical, elle était rentrée dans son pays avant son installation !
Les deux pactes de Marisol Touraine
A côté de ces mesures originales, des véritables plans anti-déserts médicaux ont été lancés par les pouvoirs publics. Présenté fin 2015 par Marisol Touraine, on peut citer le « Pacte Territoire Santé 2 » qui comprend notamment le développement des stages en cabinet de ville. Jusqu'alors réservés aux étudiants en médecine générale, ils seront désormais ouverts aux étudiants d'autres spécialités comme l'ophtalmologie ou la pédiatrie. Par ailleurs, le numerus clausus en vigueur dans les facultés de médecine sera augmenté de 131 étudiants (hausse de 6,4 %) au profit des universités situées dans dix régions manquant de médecins.
De plus, 200 nouveaux Contrats d’Engagement de Service Public (CESP) vont être mis en place d’ici à 2017 : ils permettront à un étudiant de percevoir une aide financière (1 200 euros par mois) en échange d’un engagement pour son installation en zone de pénurie.
Les maisons de santé plébiscitées
Dans la même veine, le plan prévoit une montée en puissance des contrats de Praticien Territorial de Médecine Générale (PTMG). Le but fixé par Marisol Touraine est la signature de 1 000 de ces contrats en 2017, soit 50 % de plus que prévu actuellement.
Ces contrats intégreront désormais la prise en charge d’un congé paternité et des arrêts maladie. Pour rappel, ce dispositif offre déjà aux jeunes médecins généralistes une garantie financière de revenus. Il est maintenant accessible aux spécialistes.
Dernières mesures annoncées, la création de 200 maisons ou centres de santé supplémentaires, ou encore des expérimentations de télémédecine en ville en 2016 dans neuf régions, au profit des maisons de retraite et de santé.
(1) Ce chèque peut monter jusqu'à 10 000 euros pour les ophtalmologues, à condition d’exercer pendant au moins trois ans dans la commune