Médecin, Thomas Lilti s’est fait connaître du grand public en 2014 en réalisant le film Hippocrate, dans lequel on pouvait suivre le parcours initiatique d’un jeune interne en médecine. Dans Médecin de Campagne, qui sort ce mercredi, le réalisateur nous fait découvrir l'exercice rural et la difficulté pour le médecin de devoir lâcher prise. Avec le thème de la transmission, le réalisateur aborde les enjeux de la médecine de proximité. Thomas Lilti les développe pour Pourquoidocteur.
Médecin de campagne, « ça ne s’apprend pas », dit dans le film le médecin incarné par François Cluzet. N’est-ce pas une des causes de la désertification médicale ?
Thomas Lilti - Cela ne s’apprend pas dans le sens où rien ne remplace l’expérience, mais c’est le cas dans tous les métiers. Cependant, dans nos études telles qu’elles sont faites en France, on apprend peu cette médecine-là, puisque même l’interne en médecine générale va passer la majeure partie de ses stages à l’hôpital.
C’est dommage que les études de médecine soient aussi hospitalo-centrées. Ce serait profitable que les étudiants qui se destinent à la médecine générale puissent sortir de l’hôpital pour aller dans des maisons de santé universitaires avec des maîtres de stage. Ils pourraient parfaire leur apprentissage de ce métier. Mais le problème vient aussi du fait que les internes sont nécessaires à l’hôpital, puisqu’on manque de médecins hospitaliers.
Pensez-vous qu’il y ait un décalage entre les mondes libéral et hospitalier ?
Thomas Lilti - Ce sont deux médecines très différentes. La médecine de proximité est une médecine qui crée du lien social, qui exige de grandes qualités humaines, où le médecin est plus qu’un praticien : confident, assistant social, psychanalyste… A l’hôpital, on a une médecine de pointe, une médecine de recherche.
Mon intention n’est pas de mettre dos à dos ces deux modes d’exercice qui sont complémentaires. Mais je regrette qu’il n’y ait pas plus de lien entre les deux. Le médecin généraliste a encore parfois bien des difficultés à être entendu de l’hôpital.
Retrouvez Thomas Lilti sur le plateau de L'Invité Santé
La médecine générale attire moins de jeunes. La profession est-elle en crise ?
Thomas Lilti - Bien sûr, il y a une réelle souffrance. Aujourd’hui, les médecins se sentent mal aimés, par les pouvoirs politiques mais aussi par le grand public. Leur image a été écornée, ils sont mal vus. Quand on pense au médecin, c’est soit le praticien hospitalier brillant, talentueux, mais froid et rigide, soit le médecin qui fait de la greffe de cheveux sur la Côte d’Azur. Des caricatures, alors que la grande majorité des praticiens, qu’ils soient hospitaliers ou libéraux, sont des gens altruistes de bonne volonté qui passent leur temps à se battre pour faire leur métier le mieux possible. C’est aussi pour cela que j’ai fait ce film. Je montre combien ce métier est quand même difficile et sacrificiel.
Les jeunes médecins sont-il disposés à vivre leur pratique comme un sacerdoce ?
Thomas Lilti - Si on veut préserver ce trésor qu'est le médecin de famille, un nouveau modèle doit se créer. Mais encore faut-il rendre possible cette mutation. Les jeunes médecins n'ont sans doute pas envie de sacrifier leur vie personnelle comme l'ont fait beaucoup de ceux qui partent en retraite aujourd'hui.
Mais je ne crois pas que prendre des vacances ou éteindre son portable le soir en rentrant chez soi empêche d'exercer son métier avec passion et générosité. Si le médecin est heureux dans sa vie privée, il sera d'autant plus un bon soignant. Le médecin de famille est dans une certaine intimité avec ses patients, il rentre dans leur vie, dans leur maison, connaît souvent des secrets, mais cela n'empêche pas d'avoir aussi sa vie privée.