Vincent Van Gogh, Ernest Hemingway, Sir Winston Churchill… Toutes ces personnalités auraient souffert de troubles bipolaires, anciennement appelés maladie maniaco-dépressive. Cette pathologie mentale se caractérise par une alternance de phases dépressives et de phases d’excitation dites maniaques, celles qui seraient justement responsables du génie créatif du peintre néerlandais et de l’écrivain américain.
Aujourd’hui en France, on estime que 1 à 2 % de la population sont touchés par cette maladie psychiatrique, soit près de 1,3 million de personnes. « Mais on sait que toutes ces personnes ne sont probablement pas diagnostiquées et suivies », souligne à Pourquoidocteur le Pr Marion Leboyer, responsable du pôle de psychiatrie et d’addictologie du Groupe Hospitalier Mondor et directrice de la fondation FondaMental, l’un des partenaires de cette seconde journée mondiale des troubles bipolaires qui se tient ce mercredi 30 mars.
10 ans d'errance diagnostique
Les premiers symptômes se déclenchent généralement entre l’âge de 15 et 25 ans. Mais très – trop – souvent, ils sont diagnostiqués comme dépressifs, atteints de schizophrénie ou autres troubles psychiatriques. Il peut s’écouler 10 ans entre le premier épisode dépressif, ou maniaque, et le diagnostic puis la mise en place d’un traitement spécifique. « Cette errance diagnostic est une perte de chances considérable puisque plus on traite tôt, plus les traitements sont efficaces », regrette la spécialiste. C’est en effet au cours des 5 premières années de la maladie que les chances de rémission sont les plus grandes.
Les motifs de ce retard diagnostic sont nombreux. La pathologie est complexe et ses symptômes polymorphes peuvent être confondus à de nombreuses maladies psychiatriques. En outre, la phase d’exaltation extrême peut être vécue comme agréable par le patient et ne l’amène pas forcément à consulter. C’est la rechute en phase dépressive ressentie comme violente par les patients qui peut les pousser à aller voir un spécialiste. Pour Marion Leboyer, le manque d’information et de connaissance du grand public est également l’une des raisons.
Des répercussions graves
Les conséquences de ce retard de diagnostic sont sévères. « La manie est un épisode pathologique grave. Lors de ces épisodes maniaques, leur énergie est décuplée, ils pensent et agissent plus vite qu’habituellement, ils n’ont plus besoin de dormir. Ils se sentent alors plus puissants que les autres ce qui peut les entraîner dans des situations dangereuses », explique le Pr Marion Leboyer. Alors que les personnes bipolaires sont très exposées au risque de suicide – près d’une sur six non traités se suicide -, la reconnaissance tardive de leur maladie accroit ce risque. Les répercussions sur le plan socio-économiques sont également désastreuses. Beaucoup perdent leur emploi ou ont des difficultés financières. Les ruptures familiales sont aussi fréquentes.
Autre conséquences : les troubles associés à cette maladie comme l’insomnie ou les troubles anxieux ne seront pas repérés. De même, les troubles métaboliques comme le diabète, l’obésité ou l’hypertension, eux aussi associés aux troubles bipolaires ne sont pas suffisamment repérés.
Soutenir la recherche en psychiatrie
Pour lutter contre cette errance diagnostique et améliorer la qualité de vie des malades, des Centres Experts spécialisés par pathologies et reposant sur des équipes multidisciplinaires se sont ouverts partout en France. Une création notamment favorisée par la Fondation FondaMentale. Il en existe aujourd’hui une trentaine en France et à Monaco dont 9 centres dédiés aux troubles bipolaires.
En parallèle, des équipes de recherche tentent d’identifier des nouveaux biomarqueurs pour aider les médecins à poser un diagnostic précoce. « Il peut s’agir de marqueurs d’imagerie cérébrale, d’électroencéphalogramme (EEG), de marqueurs inflammatoires ou génétiques. Mais pour l’heure ils sont encore l’apanage de la recherche. » Et ces derniers le resteront encore longtemps si les investissements se font toujours aussi rares. « La France est l’un des pays d’Europe qui investit le moins dans la recherche en psychiatrie puisque l’on consacre seulement 2 % des budgets de la recherche biomédicale à ce domaine », déplore le Pr Marion Leboyer. Ce manque de financement touche particulièrement les troubles bipolaires alors même que cette pathologie psychiatrique est considérée comme la 6e cause de handicap dans le monde. Cette journée mondiale des troubles bipolaires est également l'occasion d'appeler le grand public à se mobiliser sur cette pathologie chronique et invalidante.