Une partie des 10 000 médecins de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) est dans une « situation à risque » face aux conflits d’intérêts qui existent entre le corps médical et les industriels du médicament, estime le rapport rédigé à l’intention de l’établissement public. Pour éviter que les professionnels se placent, « de plein gré ou malgré eux » dans de telles situations,les auteurs souhaitent modifier des pratique. Les activités annexes, les congrès, les visiteurs médicaux et les fonds destinés aux essais cliniques sont notamment dans leur collimateur.
Le rapport écarte toute tentative d’isolement des hôpitaux vis-à-vis de l’industrie, qui serait un obstacle à leur mission primaire : « contribuer au progrès médical, à sa diffusion et à sa mise à disposition du plus grand nombre ». Néanmoins, « il ne s’agit plus seulement de se sentir en toute conscience exempt de conflits d’intérêts, mais aussi de convaincre tout un chacun qu’on l’est, ajoutent les auteurs. Dès lors, des usages anciens et qui pouvaient paraître sans risque doivent aujourd’hui être soit proscrits, soit aménagés ».
« Un centre hospitalo-universitaire (CHU) a une triple mission : le soin, l’enseignement et la recherche », peut on encore lire. Chacune d’entre elles est une cible potentielle pour des conflits d’intérêts. Les propositions du rapport insistent sur trois points généraux.
Surveiller les activités annexes
L’AP-HP est aussi un producteur d’expertise. Le cas du Pr Michel Aubier l’a montré récemment. Le chef de service de pneumologie de l’hôpital Bichat à Paris, omniprésent dans les médias, a été pointé du doigt pour une activité accessoire non déclarée chez Total.
Ce cumul doit être plus strictement encadré. Le rapport stipule que le temps consacré, la rémunération et la nature des prestations effectuées doivent être compatibles avec l’exercice hospitalier et les intérêts de l’AP-HP.
Plus précisément, ces activités externes doivent recevoir une autorisation de l’université, qui en définira la nature : elle concernera le médecin de manière indépendante, ou fera l’objet une convention directe avec l’AP-HP. Dans le premier cas, des conditions d’emploi du temps devront être respectées (5 à 10 heures par semaine au maximum, pour 41 demi-journées d’absence par an).
Encadrer la recherche
Un travail de fond a été réalisé dans les années 2000 sur la déclaration des conflits d’intérêts éventuels des auteurs d’articles scientifiques, mais l’influence des laboratoires se fait encore sentir sur les recherches, estimait notamment l'Organisation mondiale de la santé dans un rapport de 2009.
Au sein de l’AP-HP, les associations de services font figure de talon d’Achille. Ces petites structures – dont le nombre dépasserait les 400 d’après Martin Hirsch, président de l’AP-HP – reçoivent les financements des laboratoire pour des études cliniques. Les chercheurs peuvent y avoir accès de manière souple, pour recruter du personnel de recherche par exemple.
Mais la gestion de ces fonds peut être un peu occulte, estiment les auteurs du rapport. Ils conseillent d’utiliser la fondation hospitalière de l ‘AP-HP, créée à la fin de l’année dernière pour recueillir les financements et les réattribuer aux équipes de recherche, de manière plus équitable et plus transparente. Une transition devrait se faire progressivement, jusqu’à la fin de l’année 2017, a précisé Martin Hirsch
Surveiller la formation
Reste un chantier important, peut-être le plus risqué pour les médecins. La formation continue et l’information sont sans doute les domaines les moins contrôlés.
Le rapport conseille une refonte du système de visiteurs médicaux. Il fait référence à une enquête réalisée auprès d’internes de cardiologie, dont les deux tiers déclaraient s’être vus offrir des repas par les laboratoires médicaux sur leur lieu de travail plusieurs fois par semestre, et dont plus de la moitié déclaraient être régulièrement invités en dehors du service. Au total, ils voyaient en moyenne sept visiteurs médicaux par mois.
« Les démarches spontanées auprès des médecins, et de plus en plus, des infirmières, doivent cesser, a confié Martin Hirsch dans un entretien accordé au Monde. Nous allons donc modifier le règlement de l’AP-HP pour mieux les encadrer ».
L’information médicale repose aussi sur les leaders d’opinion. Présents dans les médias pour l’information au grand public, mais également dans les congrès et dans les médias spécialisés, ils ont une influence énorme sur les retombées financières des laboratoires pharmaceutiques. Leurs déclarations d’intérêts doivent être élargies, mieux encadrées, et plus rigoureuses.
Enfin, la formation continue, via les congrès médicaux, expose le personnel médical à des cadeaux déguisés. « Elle est financée en France à hauteur de 98 % par l’industrie pharmaceutique (prise en charge notamment de frais de congrès, de déplacements, achat de documentation scientifique, e-learning,...). Le détail de ces financements demeure opaque, estime le rapport. Il se situerait dans une fourchette de 300 à 600 millions d’euros.
Pour l'AP-HP, l'enveloppe s'élèverait à 30 à 40 millions d'euros par an. Selon le rapport, il faudrait introduire un tiers neutre entre les industriels et les praticiens, qui définirait « les profils des praticiens concernés par un congrès et les modalités de prise en charge ». Le rapport pose aussi la question d’un financement partiel de la part des professionnels, et souhaite inciter le développement des moyens de visioconférence.