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Rapport Human Rights Watch

Psychiatrie : les détenus français sont mal soignés

Par Audrey Vaugrente

Une ONG épingle les nombreuses lacunes de la France dans la prise en charge des détenus atteints de troubles psychiatriques. Elle dénonce notamment le manque de professionnels de santé. 

LANCELOT FREDERIC/SIPA
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L’expression « double peine » aura rarement aussi bien porté son nom. C’est également le titre d’un rapport de l’ONG Human Rights Watch qui épingle les mauvaises conditions de prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques en prison. Et le manque d’action des établissements de l’Hexagone.
Pour réalsier ce rapport, l’ONG a rencontré 50 détenus, du personnel pénitentiaire et des professionnels de santé dans huit prisons, ainsi que des représentants du gouvernement. Le bilan qui ressort de ces entretiens est loin d’être reluisant. En effet, les détenus mettent sept fois plus fin à leurs jours que le reste de la population française. Rien qu’en 2015, 113 suicides ont été dénombrés par les autorités françaises.

L’absence des spécialistes

Les personnes incarcérées qui souffrent de troubles psychiatriques ne bénéficient pas d’une prise en charge appropriée. Toutes les prisons disposent d’une unité médicale offrant des soins physiques et psychologiques. Mais sur les 188 établissements français, seuls 26 disposent d’un service médico-psychologique régional (SMPR). Ils représentent un total de 380 lits, accessibles seulement en journée. S’y ajoute le manque de professionnels spécialisés en santé mentale. Leur rare présence dans les lieux de privation des libertés rend difficile la prise de rendez-vous. Les rencontres se limitent donc souvent à la prescription de médicaments, déplore Human Rights Watch.

Lorsque l’état de santé des patients se dégrade, ils sont transférés – la plupart du temps contre leur gré – vers des établissements psychiatriques, ou mis à l’isolement. « Je préfère 1 000 fois être en cellule qu’en chambre d’isolement à l’hôpital. A me faire attacher les bras et les pieds comme si j’étais un animal », témoigne une détenue, nommée Sarah, dans le rapport.

Les femmes à haut risque

Le retour en prison s’accompagne souvent de la réapparition des troubles, à cause de l’absence de soutien et de réadaptation. C’est le début d’un cercle vicieux. Les règles strictes de la vie en cellule, le contact limité avec les proches, la surpopulation et les brimades aggravent davantage la situation. « Cette absence de traitement équivaut de fait à une peine supplémentaire pour les détenus qui ont besoin de ces soins », tranche Izza Leghtas, co-auteur du rapport.

Ces problèmes inhérents à la détention ont été pointés en 2015 par Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation des libertés. « Toutefois, les gouvernements français successifs ne sont pas parvenus à les résoudre », souligne le rapport. Les femmes sont particulièrement à risque. En effet, leurs déplacements sont plus souvent limités que ceux des hommes afin d’éviter les contacts avec ceux-ci.

Garantir le respect de la dignité

La France a bien tenté d’améliorer son bilan en août 2014. Une loi prévoit la suspension d’une peine d’emprisonnement si l’état de santé du détenu n’est pas compatible avec la détention. « Mais trouver des structures apportant une assistance appropriée aux personnes atteintes de troubles psychiatriques qui ont également été condamnées pour des infractions pénales au sein de la communauté après leur libération peut s’avérer compliqué », souligne Human Rights Watch.

L’ONG émet donc plusieurs recommandations à destination de l’Hexagone. Elle rappelle d’abord que le pays s’est engagé à garantir des conditions d’incarcération « compatibles avec le respect de la dignité humaine », d’offrir un niveau de santé maximal aux personnes handicapées et de ne pas être à l’origine de discrimination fondée sur le sexe.
L’organisation appelle la France à lancer une enquête indépendante sur la santé mentale des détenus, afin d’obtenir des chiffres précis sur le nombre de personnes touchées, de leur offrir des conditions de vie plus appropriées à leur trouble et de lutter contre la pénurie des professionnels spécialistes en prison.

 

Les agents pénitentiaires en souffrance

Les membres de la fonction pénitentiaire sont eux aussi soumis aux troubles de santé mentale. Selon une étude parue ce mardi dans le Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire (BEH) de l’Institut de Veille Sanitaire (InVS), on dénombre 21 % de suicides en plus par rapport à la population générale. Les surveillants et les adjoints techniques sont particulièrement exposés, surtout s’ils sont de sexe masculin.
Parmi les explications avancées par les auteurs, les contraintes psychosociales inhérentes au milieu professionnel. Ils soulignent le haut niveau de violence, de stress et d’insécurité auquel sont exposés ces actifs, mais aussi le manque de reconnaissance et les faibles effectifs. Mais étonnamment, les agents qui ont travaillé dans des prisons surpeuplées sont les moins à risque de mettre fin à leurs jours. L’accès à une arme à feu facilite aussi le passage à l’acte.