L’Histoire racontée à travers les sous-vêtements peut réserver bien des surprises. Tiens, prenons la braguette qui orne les pantalons, à priori rien de bien extraordinaire, et pourtant !
Devinez à quand remonte son âge d’or ? A James Dean, irrésistible en jean serré ? A Michael Jackson déchaînant ses fans mains posées sur la braguette ? Plus loin encore, à la naissance de la fermeture éclair dans les années 60 ?
Que nenni ! nous apprend le superbe ouvrage Braguettes, une histoire du vêtement et des mœurs (1). La toute première braguette fait son apparition pendant la guerre de cent ans, à la fin du Moyen-âge. Et ce sont les soldats qui vont lancer la mode ! A l’époque, les hommes portent des tuniques amples sur de longues culottes. Pas très pratique pour se mouvoir facilement !
Les hommes d’armes se débarrassent de cet attirail : ils portent désormais des vêtements du haut, les pourpoints, qui s’arrêtent aux fesses et révèlent des chausses, des collants passablement moulants. Du coup, le membre viril est exposé, il sera protégé par une coque.
Chez les militaires, la « brague » est la partie saillante de la cuirasse, située au-dessous de la ceinture. Grâce aux lansquenets ( des mercenaires allemands), les coques métalliques vont faire fureur. Elles deviennent le symbole de la virilité flamboyante et de la lutte armée.
On assiste alors à une exhibition d’hommes se pavanant en collants médiévaux. Spectacle qui va d’ailleurs susciter bien des réactions outrées. Messire Mathieu de Coucy, chroniqueur de l’époque s’emporte ainsi contre "des hommes vestus plus court qu’ils n’eurent oncques fait. Tellement qu’on voit la façon de leurs culs et de leur génitoires".
Au 15ème siècle et au 16ème siècle, avec la Renaissance, la braguette va connaître une vitalité tapageuse. L’époque est à la liberté sexuelle absolue. Les religieux s’offusquent mais le mouvement prend de l’ampleur. Les génitoires masculines s’affichent au moins autant que les poitrines féminines. Les braguettes se présentent alors sous forme de tissus rembourrés triangulaires qui se ferment à l’aide de lanières -les aiguillettes- le tout empêche le service trois pièces de ces messieurs de batifoler à tout vent.
Les coquets vont orner la chose de rubans, de bijoux ou de dentelles. Il aurait même été possible d’aménager cet espace pour y fourrer lettres, mouchoirs, menue monnaie, etc., bien au chaud, dans un lieu où nul larron n’ira dérober la marchandise. Montaigne s’offusque pourtant de cet exhibitionnisme outrancier, il qualifie ce protubérant artifice de « ridicule pièce » qui « accroît leur grandeur naturelle par fausseté et imposture ». Mais le mâle est fait si l’on peut dire et dans toute l’Europe, l’usage se répand comme en témoignent les peintures de l’époque.
Avec la Réforme protestante (culminante au 16ème siècle) et la montée en puissance des dévots, la pudeur et l’indignation reprennent progressivement le dessus.
Pourtant, c’est la mode de la culotte bouffante qui sonnera le glas de la braguette. Sous le règne d’Henri III, petit-fils de François 1er, on a des mignons mais on ne badine plus ! Le membre viril sera camouflé sous une tonne de volume et d’étoffes dissimulatrices.
Au 19ème siècle, la braguette n’est plus que la partie honteuse du costume masculin. Discrète, boutonnée, plate, dissimulée.
Avec la révolution industrielle, la braguette devient fonctionnelle et ergonomique. Le zip est inventé à la fin du siècle, tout comme le caleçon ( eh oui, auparavant il n’existait pas, les hommes se contentaient d’une longue chemise glissée sous l’étoffe du pantalon). En 1890, Lévi Strauss lance le mythique jean « 501 ». Les grands magasins qui se répandent un peu partout permettent la diffusion de tous ces nouveaux produits.
Après la seconde guerre mondiale, les femmes se mettent à porter le pantalon, au sens vrai et métaphorique du terme ( elles ont largement prouvé pendant la guerre qu’elles en étaient capables, faisant tourner les maisons, les fermes, les entreprises) . Mais pour bien différencier les braguettes des hommes des braguettes des femmes, on fabrique des systèmes qui se boutonnent en sens inverse, s’ouvrant sur la droite ou sur la gauche selon le cas. L’instrument reste neutre et passablement pratique, c’est une fermeture, voilà tout ! Le zip peut facilement être cousu grâce aux machines industrielles qui se développent.
Le slip fait son apparition lui aussi. Tout comme la braguette, il se veut pratique et ergonomique. Preuve en est la publicité du mini-slip Hom d’après-guerre : « séduit par sa forme enveloppante, ne glisse pas grâce à sa ceinture brevetée, ne comprime pas avec sa coque galbée, et reste net puisqu’il est doublé partiellement ». Pour un peu, on croirait entendre parler de la coque protectrice des vaillants lansquenets de la Guerre de cent ans.
La suite, on la connaît ! Les jeans puis le slim deviennent aussi moulants que possible. Avec toujours pour objectif d’attirer le regard sur l’obscur objet du désir.
(1) Editions du Rouergue, 2010