REPORTAGE - A l'hôpital Saint-Louis à Paris, le Pr Jérôme Larghero et son équipe manipulent des cellules souches pour produire des cellules du coeur ou de la rétine.
En octobre 2014, Jacqueline Nguyen, 68 ans, est hospitalisée à l'hôpital européen Georges Pompidou à Paris (HEGP). Atteinte d’insuffisance cardiaque sévère et victime d’un infarctus, la sexagénaire est obligée de dormir assise, monte les marches avec une grande difficulté et se sent vite essoufflée. Elle doit subir un pontage coronarien pour améliorer l’apport sanguin dans son muscle cardiaque. Son coeur fatigué ne pompe plus correctement le sang, du fait de la mort de plusieurs cellules cardiaques.
Chirurgien cardiaque dans cet hôpital, le Pr Philippe Menasché propose à sa patiente d’être la première personne au monde à bénéficier d’une greffe de cellules souches. Elles sont "patchées" sur le coeur pour se substituer aux cellules défaillantes.
Un an après l'opération, Jacqueline Nguyen « revit », danse avec ses petites filles, fait du vélo, marche sans être essoufflée. Et espère que de nombreux malades pourront bénéficier de cette thérapie cellulaire.
Cette première mondiale est le résultat de vingt ans de recherches menées en collaboration avec l’équipe du Pr Jérôme Larghero, directeur du département de biothérapies cellulaires et tissulaires de l’hôpital Saint-Louis, Assistance Publique – Hôpitaux de Paris. A 45 ans, ce médecin a consacré toute sa carrière à la thérapie cellulaire et à l’étude des cellules souches. Il est à la tête de l’une des 36 équipes françaises autorisées à travailler sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
Conservées à - 180°C
C’est dans les bâtiments du 17ème siècle, de l’hôpital Saint-Louis, que l’équipe à préparer le patch cardiaque qui a été greffé sur Jacqueline Nguyen. C’est également dans ses murs que sont conservés les cellules souches embryonnaires humaines.
Dans la zone de cryobiologie, elles attendent patiemment dans l’une des dizaines de cuves à vapeur d’azote. Dans cette pièce, l’unité conserve également les greffons de moelle osseuse préparés pour les patients atteints de maladies du sang, et des poches de sang de cordon ombilical de la taille d’une carte bancaire.
« Elles sont cryopreservées à une température comprise entre -150 et -180°C de façon à les conserver quasiment ad vitam aeternam », indique le Pr Larghero en soulevant le couvercle de l’une d’elles. A cause du froid, la porte grince. Cette complainte s’ajoute au sifflement ininterrompu des cuves et aux bip incessants signalant la présence des indicateurs d’azote et d’oxygène.
Le Pr Jérôme Larghero sélectionne un échantillon de moelle osseuse dans une cuve à vapeur d'azote. L’unité de Saint-Louis peut être amenée à exporter des lots de cellules souches embryonnaires en France ou dans le monde. Source : Anne-Laure Lebrun/Pourquoidocteur
Trouver le bon cocktail
Aujourd’hui, une quarantaine de protocoles de recherche sont menés en France. Les cellules souches embryonnaires offrent de formidables perspectives de traitement grâce à leur capacité à donner naissance à tous les types cellulaires. Mais si cela est vrai dans l’organisme, cette promesse doit encore être tenue en laboratoire.
Car, ces cellules ne sont pas encore prêtes à livrer tous leurs mystères. Capricieuses, elles ne font pas toujours ce que l’on attend d’elles. Ou du moins, les scientifiques n’ont pas toujours les bons codes pour les diriger. « Il faut trouver le bon milieu de culture et le cocktail de molécules permettant de reproduire ce qui se passe au cours du développement embryonnaire, et ce pour chaque type cellulaire », explique le Pr Larghero.
A Saint-Louis, une équipe tente de « fabriquer » des cellules cardiaques à partir de ces cellules souches, tandis qu’une autre essaye de produire un tissu oculaire. Ces essais et mises en culture sont menés dans l’une des 8 « salles blanches » à environnement stérile.
La pression, la température, le taux d’humidité y sont drastiquement surveillés pour éviter toute contamination et détérioration des cellules. Les scientifiques doivent également enfiler, en plus de leurs sur-chaussures, une sur-blouse, un masque de protection et une charlotte. « Ils doivent même enfiler une deuxième paire de gants pour manipuler sous la hotte », glisse le responsable.
Dans l'une des 8 salles blanches de l'unité, une chercheuse manipule sous la hotte des cellules souches issues du sang de cordon. Avant elle les a décongelé au bain marie (appareil en premier plan). Source : Anne-Laure Lebrun/Pourquoidocteur.
Un avenir prometteur...
Mais pour l’heure, peu de cellules sortiront de ces salles blanches pour être greffées chez l’homme. La thérapie cellulaire pour l’insuffisance cardiaque est la seule a avoir été jusque là. Plusieurs équipes français emboitent les pas des Pr Philippe Ménasché et Jérôme Larghero et se lancent chez l’homme.
En 2017, des essais cliniques testeront l’efficacité des cellules souches embryonnaire pour traiter une maladie de la peau ou de la rétine. « Il faut rester conscient que nous ne sommes pas encore capables de reconstruire un organe à partir de quelques cellules souches. Nous sommes arrivés à une ère d’application thérapeutique qui vise à évaluer la sécurité et la tolérance des ces nouvelles approches », souligne-t-il.
De fait, de nombreux écueils persistent. Le premier concerne d’abord l’amplification de la quantité de cellules souches. « Comment obtenir des millions voire des milliards de cellules à partir d’une dizaine ? C’est tout l’enjeu de la recherche fondamentale menée actuellement », explique le spécialiste.
A Saint-Louis, des équipes tentent de découvrir le meilleur moyen de culture pour ces cellules. Une partie de cette recherche est réalisée dans une pièce de vidéo microscopie plongée dans le noir. « Nous apprendrons peut-être que les cellules préfèrent pousser dans des petits puits que sur des surfaces plates, ou sont plus enclines à se multiplier sur des gels souples que des surfaces dures comme de la pierre », explique-t-il.
...mais des obstacles persistent
Autre frein majeur à l’essor de la thérapie cellulaire : le manque de financement. « La France n’a pas à rougir de ces recherches mais elle a du mal à aller au delà des premières mondiales car nous manquons d’investissements permettant de faire des recherches cliniques de plus grande ampleur », affirme Jérôme Larghero.
La technique est en effet un domaine très gourmand : il aura fallu des millions d’euros pour développer la thérapie cellulaire cardiaque et traiter une seule patiente, rappelle le médecin.
Trouver un partenaire industriel n’est pas une mince affaire non plus. C’est pour cette raison que l’unité de Saint-Louis a décidé de se restructurer. Un nouveau bâtiment devrait bientôt être construit afin d’y rassembler une équipe multidisciplinaire (biologiste, clinicien, chercheur, ingénieur…) chargée de la plateforme de préparation des greffons et des start-up spécialisées dans l’innovation technologique.
Reste que les espoirs soulevés par les cellules souches embryonnaires sont colossaux et continuent de créer l’engouement des chercheurs. Il a fallu à la France 10 ans pour passer de la recherche fondamentale à l’essai chez l’homme. Un bond de géant en attendant le suivant.
Recherche sur l'embryon, ce que dit la loi
Dans notre pays, la recherche sur les cellules souches embryonnaires est autorisée mais encadrée. Depuis la révision de la loi de bioéthique de 2013, les textes prévoient « qu’aucune recherche sur l'embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation ».
Cet encadrement est assuré par l’Agence de la Biomédecine. Tout projet de recherche doit faire l’objet d’un dossier conséquent dans lequel les équipes doivent justifier l’utilisation de ces cellules et l’intérêt thérapeutique attendu.
Les autorisations durent environ 5 ans. A l’issue de cette période, une nouvelle demande doit être déposée. Néanmoins, tous les travaux ne sont acceptés. L’an dernier, 17 projets ont été autorisés et 2 refusés par l’Agence de la Biomédecine.
Par ailleurs, la France, comme une majorité de pays, interdit de créer des embryons à des fins de recherches. Pour conduire leurs travaux, les chercheurs peuvent uniquement utiliser les embryons surnuméraires conçus in vitro dans le cadre d'une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l'objet d'un projet parental. Le consentement des parents peut être révoqué sans motif par un ou les deux membres du couple tant que les travaux n’ont pas commencé.
Les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, Israël ou le Royaume-Uni ont choisi d’aller plus loin. Ils autorisent le clonage de cellules souches embryonnaires.