ENQUÊTE - La tarification à l'activité, unique mode de financement des hôpitaux, a changé les rapports entre l'administration et les personnels médicaux. Soumis à une pression toujours plus forte, beaucoup sont à bout. Qu'ils soient patients, internes, médecins ou infirmiers, les reproches fusent.
Comme il soigne tout le monde, l’hôpital public est un bien précieux à chaque Français. Quand un souci de santé arrive, beaucoup ont encore le réflexe « Urgences ». Mais à cause de ce modèle dit « hospitalo-centré », les services sont bien souvent saturés et les personnels fatigués. « Le mammouth », comme ses détracteurs le surnomment, semble au bord de l’implosion. Même ceux qui l’aiment ne se gênent plus pour le critiquer allègrement. Il suffit de rencontrer n’importe quel patient, infirmer, interne, ou même, chef de service pour s’en apercevoir.
" En province, mieux vaut ne pas faire un infarctus le weekend "
« La complémentaire santé pour tous ne concerne que les salariés », rappelle-t-il. Pour les patients qui n'en ont pas, restent donc à leur charge 20 % du séjour, plus la prestation complémentaire journalière. « Pour une personne âgée, au bout de 4-5 jours d’hospitalisation, on arrive vite à 8 000 euros ». On l’a compris, le poste patient dans le budget est souvent la source facile pour créer de nouvelles recettes. « On tape sur celui qui ne peut pas se défendre », estime René Mazars. Enfin, les inégalités se jouent parfois à un jour près. « Chez nous, comme dans beaucoup de territoires, mieux vaut ne pas être malade ou faire un infarctus le week-end. On a plus de risque de rester hémiplégique, voire pire », assure-t-il. Pendant ces deux jours, les Urgences sont bien souvent en sous-effectifs...
" Des amis internes sont tombés dans le burn-out, l'anorexie "
Certains de ces futurs médecins franchissaient même fréquemment la ligne rouge, avec des cas de maltraitance médicale : « On se retrouve à faire attendre une patiente de 80 ans pendant 5, 6, voire 7 heures sur un brancard ». Mais l’homme a aussi assisté à des cas de maltraitance venant de l’administration : « Avec des télés enlevées à des patients en fin de vie parce que leur famille n’avait pas payé l’abonnement. Je l’ai vu très très souvent », assure-t-il. Des images qu’il n’oubliera pas, comme celles de familles se recueillant sur le corps de leur défunt dans des couloirs, faute d’une chambre. Pour toutes ces raisons, Baptiste Beaulieu a fait le choix d’aller exercer en ville, « où le rapport et la communication avec les patients sont plus humains ».
Mais en cabinet, le généraliste souffre maintenant de la solitude de l'exercice isolé. C’est pourquoi il envisage parfois de retourner aux Urgences. « Le côté aigüe des pathologies qu'on supporte grâce au rire salvateur en équipe me manque ». La preuve sans doute que la flamme n'est pas tout à fait éteinte...
" Même pour une petite décision tout est difficile et long "
Pour lui, l’hôpital est tout simplement le reflet de ce qui se passe dans le pays, « géré de manière trop centralisé et bureaucratique ». « Il y a une absence d’adaptation aux besoins concrets des soignants et des malades », déplore-t-il. « Pour la moindre petite décision tout devient difficile et long », ajoute-t-il. Et la liste de reproches à l’encontre de l’administration n'en finit plus. Malgré tout, le Pr Peyromaure pense rester à l’AP-HP, en espérant qu’il va redevenir agréable d’y travailler, « parce que ce qu’on fait est utile », pense-t-il.
" Avant, je faisais mieux en matière de sécurité des soins "
« Il y a 20 ans, quand j’ai commencé en bloc opératoire, nous étions un médecin anesthésiste et un infirmier anesthésiste dans chaque salle d’opération. Aujourd’hui, on a un médecin pour deux, trois, voire quatre salles ». Résultat, une fois la machine anesthésique lancée, l’infirmier est le seul à la tête du patient. Du début de l’intervention jusqu’au réveil. « Alors que je suis plus expérimenté maintenant, j’ai l’impression d’avoir mieux fait en début de carrière en matière de sécurité et de qualité de soins. C’est démobilisateur », lâche-t-il.
Enfin, il peste contre les 35 heures, pas respectées à l’hôpital. « Pour nous payer ce qu’ils nous doivent, ils ont inventé le compte épargne-temps (CET). Rien que pour l’ensemble des agents non médicaux, il y aurait 1,2 million de jours placés dessus. Martin Hirsch (directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris) devrait fermer l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) pendant un an pour tous nous payer, les 35h on aimerait bien les connaître ». Selon lui, la gestion de l'hôpital public est devenue « une folie ». « Qu'ils s'en aillent tous [les dirigeants] », exhorte-t-il.