Performance, compétition, suractivité… La société actuelle nous empêche de dormir. « Chacun est, explicitement ou tacitement, invité à faire de son sommeil une variable d’ajustement », alerte le rapport de Terra Nova publié ce lundi et intitulé « Retrouver le sommeil, une affaire publique ». Selon ces auteurs, une politique de l’insomnie aurait été menée au cours de ces dernières années, relayant le sommeil à un désir alors qu’il s’agit bel et bien d’un besoin physiologique, au même titre que se nourrir.
Résultat : deux-tiers des Français ne trouvent pas le sommeil. En 25 ans, les adultes ont perdu 18 minutes de sommeil par nuit et les adolescents, 50 minutes. Les écrans sont les principaux responsables. Pour leurs parents, c’est le travail qui les maintient réveillés.
Une société sous somnifères
Pour dormir sur leurs deux oreilles, 11 millions de Français se tournent vers les somnifères. « Avec 131 millions de boîtes de benzodiazépines vendues en 2012, la France est le 2ème plus gros consommateur de somnifères en Europe derrière le Portugal », relève l’un des auteurs du rapport, le Dr Jean-Pierre Giordanella, interrogé par Pourquoidocteur. Une prescription massive d’anxiolytiques et hypnotiques qui ne respecte pas toujours les recommandations et expose les consommateurs à des effets secondaire graves. Dépendance et accoutumance, somnolence, chutes et pertes de mémoire chez la personne âgée font partie de la longue liste des dangers. Un sommeil artificiel qui coûte cher à la société et qui ne répond en rien à la problématique du sommeil, déplore le médecin en santé publique.
En outre, du fait de ces traitements et de la fatigue accumulée - notamment chez les 6 millions de Français qui travaillent la nuit ou en horaires décalés -, cette société insomniaque est de plus en plus somnolente. Or, la somnolence est l’un des facteurs humains d’accident les plus fréquents. Environ un tiers des décès sur la route sont liés à la somnolence au volant. Mais cela reste une estimation car les forces de l’ordre ne peuvent pas officiellement considérer la somnolence comme facteur possible d’accident. « Si nous avions une approche plus fine, nous serions plus proches de la réalité et cela nous inviterait peut être à revoir nos recommandations. C’est pour cette raison que nous proposons d’introduire la somnolence comme facteur d’accident », explique le Dr Giordanella.
Accorder plus de place au repos
Face aux dégâts collatéraux de la dette de sommeil, le médecin en santé publique et ses collègues rappellent que les pouvoirs publics sont en première ligne pour promouvoir des mesures protégeant le sommeil. Parmi celles-ci, les experts insistent sur l’impact sanitaire de la pollution sonore et lumineuse. « Lorsque la vitesse sur le périphérique a été réduite, les décibels ont chuté, ce qui a favorisé le sommeil des riverains », note le Dr Giordanella. Un modèle à suivre sur les tronçons routiers bruyants, selon le rapport. Autre possibilité : prendre en compte le bruit et la luminosité produites par les structures d’envergure lors de leur construction afin de limiter cette pollution au maximum.
Dans leur rapport, ils proposent également d’accentuer la communication et la sensibilisation du grand public autour du sommeil et ses enjeux. Ils proposent par exemple de compléter le célèbre slogan « Manger mieux, bouger plus » par « bien dormir ». Les enfants et les adolescents sont les cibles à privilégier selon eux. Programme d’animation court à diffuser à la télévision, éducation au sommeil dans les écoles, repères dans le carnet de santé des plus petits sont notamment proposés.
Enfin, les auteurs préconisent la sieste pour les petits et les grands. Pour ces derniers, les auteurs encouragent les entreprises à discuter de l’organisation du travail afin de dégager un temps de repos. « Tout le monde a besoin d’une pause de 15-20 minutes dans la journée et elle peut très bien être intégrée à la pause déjeuner. Ce n’est pas favoriser le farniente, il n’y a pas de mal à faire la sieste quelques minutes pour ceux qui en ressentent le besoin », insiste le Dr Giordanella qui souligne que des salariés en pleine forme sous plus productifs. « Il faut savoir ce que l’on veut », conclut-il.