Un beau jour, on s’aperçoit que la chère et tendre bambine s’est métamorphosée en petite femme et que cela n’a pas échappé aux mâles testostéronés qui l’entourent. Le choc pour les pères ! Le tumulte. Une brise de panique. Antoine prenait le métro avec sa fille de 13 ans. Habillée en minijupe, elle était avachie sur son siège et entendait mettre les pieds sur la banquette en face. Hésitant entre la houspiller pour qu’elle se tienne de manière plus correcte ou lui demander de rajuster sa jupe, son choix a été vite fait, un homme en face avait le regard braqué sur la virginale culotte. Adrénaline.
Antoine a soudain réalisé qu’il se passait quelque chose d’important, cet homme en face était un prédateur sexuel et sa fille une proie. A la station suivante, il se demandait encore comment la prévenir, tu sais ma chérie, ta tenue, tes jambes offertes, enfin tu sais, tout cela peut secouer les hommes, susciter des désirs, enfin des actes, enfin tu vois bien ce que je veux dire… Mais non, sa fille ne voyait pas du tout ce qu’il voulait dire. Elle ne pouvait pas le voir, ni même l’entendre.
A 12 ou 14 ans, on exprime souvent sa féminité de manière caricaturale. Comme s’il fallait se prouver qu’on était une femme, l’expérimenter et le vivre avant de le prouver aux autres. A cet âge, on a envie d’aller au-devant de ce dont on a le plus peur, la sexualité. Attitude contra-phobique diraient les psy. Pas besoin de relire Le petit chaperon rouge pour en être convaincu. Les ados sont comme ça, ils bravent les interdits, ils s’affichent, ils jouent à se faire peur, et c’est finalement comme ça qu’ils apprennent la vie.
Vient ensuite le temps des premiers amoureux boutonneux qui débarquent à la maison. Là, le père est de nouveau mis à rude épreuve. Qui est ce petit morveux qui vient me voler ma princesse ? Il n’a pas intérêt à la faire souffrir, il me trouvera sur son chemin ! Le père jauge le blanc-bec en face et l’évalue, il se demande ce qu’il a dans la tête, mais pas longtemps. Le père n’a pas d’illusion.
Il se souvient de ses propres émois adolescents. Il oscillait entre le désir de séduire, d’accumuler et de jeter pour prouver sa virilité et le désir de tomber amoureux aussi. Avec certaines filles, on avait juste envie de faire l’amour, avec d’autres, juste envie d’être amoureux, tellement le sentiment paralysait.
De quel côté se situe ce petit con là ? Le père se pose la question. Il l’observe intensément, il le détaille, il se moque parfois. Il demande encore à sa fille de prendre le temps, d’être prudente, tu sais ma chérie, tu es encore très jeune. A 17 ans, on ne connaît rien de la vie. Parfois, les hommes ont de drôles de désirs. Attention, prends soin de toi, protège-toi. Je suis là.
Et puis, le temps passe encore. La bambine a bien grandi. Elle demande à ce que l’amoureux dorme à la maison. A ce qu’il parte en week-end avec elle. Le père se sent de plus en plus seul. Quelque chose se brise en lui. Il a honte de ses sentiments, il sait qu’un enfant, on l’élève pour qu’il s’envole un jour et non pour le garder en cage.
Mais là, son oiseau est en train de lui échapper définitivement. Il doit faire le deuil d’un temps merveilleux où il était tout pour sa petite fille, le héros, l’homme qui savait tout, la merveille, l’idéal, Superman et Peter Pan réunis. Il n’est plus maintenant pour elle qu’un père timoré, vieillissant, amnésique, il a oublié ce que c’est que d’être amoureux. Il n’a que des précautions à la bouche. La pilule. Le préservatif. L’alcool. La drogue. La vitesse. Et l’amour ?
Mais soudain le père voit passer sa fille-fleur, sa fille-femme, sa fille légère comme le vent, il la regarde, il la trouve belle quand elle est amoureuse. Il la trouve épanouie. Merveilleuse. Il est fier de sa féminité. C’est moi qui est fait ça ?
Un immense sentiment de soulagement s’empare alors de lui. Ca y est, le relais est passé. Un autre homme prendra soin de son trésor et de sa vie. Un autre homme l’aimera, la protégera, l’entourera, lui dessinera l’horizon. Le père est dégagé d’un souci monumental qui lui oppressait la poitrine sans même qu’il s’en rende compte. L’avenir attend sa petite, et lui, il peut désormais cheminer à côté, non loin, au cas où, si elle a besoin.
Je t’aime ma chérie !