Le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) explose et prend feu. L’explosion est si violente que des éléments radioactifs sont projetés à plus de 1 200 mètres d’altitude. Durant 10 jours, les rejets se poursuivent dans l’atmosphère et nourrissent un nuage radioactif qui plane au-dessus de l’Europe tout entière.
Dans l’air et dans les sols, de l’iode 131 – cancérigène pour la thyroïde -, du césium 134 et césium 137 sont retrouvés dans des concentrations plusieurs fois supérieures à la normale plusieurs jours, voire semaines, après la plus grande catastrophe nucléaire de l’histoire.
Ces retombées radioactives ont surtout concernées les territoires autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Biélorussie, Ukraine et Russie. Les conséquences de cet accident sont encore visibles. Une augmentation du nombre de cas de cancers de la thyroïde a notamment été constatée partout dans le monde depuis Tchernobyl. Trente ans après la catastrophe jour pour jour, l'Institut national de veille sanitaire (InVS) publie dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) un numéro consacré au cancer de la thyroïde.
Des cas avérés autour de la centrale
Des études épidémiologiques ont été menées auprès des populations qui vivaient dans les territoires proches de la centrale, en particulier les enfants et les adolescents plus sensibles à l'iode 131. Bien qu’ils aient été évacués, ils ont été fortement irradiés ou ont consommé des aliments contaminés, notamment du lait. « Il a été clairement établit que l’iode radioactif a eu pour conséquence une épidémie de cancers de la thyroïde dans les années qui ont suivi l’accident chez ces enfants en bas âge et adolescents », explique à Pourquoidocteur Jacques Repussard, ancien directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), co-auteur d’un éditorial publié ce mardi dans le BEH (1).
Très vite, l’inquiétude et l’angoisse naissent en Europe, et notamment en France. Dans le pays, le taux de cancers de la thyroïde augmente depuis le début des années 1980. Mais dès 1986, un lien entre les retombées de Tchernobyl et les cancers de la thyroïde se fait spontanément dans l’esprit de tous, y compris des médecins.
Pourtant, les études publiées dans ce dernier BEH montrent que l’accroissement des cancers thyroïdiens en France n’est pas lié au nuage de Tchernobyl. Une analyse du nombre de nouveaux cas diagnostiqués entre 1982 et 2012 met en évidence des disparités régionales très fortes. « Nous avons observé une faible incidence dans le Bas-Rhin, le Haut-Rhin et dans la Manche alors qu’elle est plus élevée en Isère, en Gironde et en Vendée », indique Marc Colonna, responsable scientifique du registre du cancer de l’Isère qui précise que l’augmentation des cancers de la thyroïde concerne surtout les cancers papillaires, la forme la plus fréquente.
Or, les retombées de Tchernobyl ont été plus importantes dans l’Est de la France et ont suivi un gradient d’Est en Ouest (carte ci-dessous). Cette variabilité géographique suggère ainsi que le nuage radioactif n’a pas favorisé la survenue de cancers de la thyroïde.
Plus de cancers diagnostiqués
Aussi, comment expliquer cette hausse continue de cancers de la thyroïde en France ? Sur la période 1982-2012, le nombre de cancers est passé de 687 à 3 437. Pour un très grand nombre de spécialistes, cette augmentation résulte en grande partie de l’évolution des pratiques médicales. Les outils de dépistage et de diagnostic de plus en plus performants permettent en effet de détecter des tumeurs mesurant moins de deux millimètres. Un amas de cellules cancéreuses qui peuvent ne jamais évoluer en cancer. Selon, Marc Coronna la variabilité géographique des cancers de la thyroïde en France pourrait être en partie expliquée par des différences de pratique entre les départements.
En outre, ce sur-diagnostic est retrouvé au Japon, depuis Fukushima. Dans les zones impactées par l’accident nucléaire, une surveillance accrue et un dépistage systématique chez les enfants ont été mis en place. Les autorités sanitaires y rapportent 10 fois plus de cancers de petite taille par rapport aux autres préfectures de l’archipel. « Mais ces données sont à utiliser avec prudence car les cancers radio-induits apparaissent 5 ans après l’exposition, souligne Jacques Repussard. Nous saurons dans une dizaine d’années si Fukushima a généré ou non une hausse du nombre de cas. »
Toutefois, les deux experts soulignent que l’effet des pratiques médicales se combinent avec d’autres facteurs de risques, notamment les rayonnements ionisants. Ces derniers sont reconnus depuis longtemps comme facteur de risque de ce cancer particulièrement durant l’enfance. Les scanners, les radiographies panoramiques sont de plus en plus utilisés mais l’impact de l’irradiation médicale n’est pas quantifié. Autre facteur de risques : la carence en iode. Mais là encore, le manque d’étude ne permet pas de conclure.
(1) Article co-signé avec François Bourdillon, le directeur générale de l’Institut de veille sanitaire et l’institut nationale de prévention et d’éducation à la santé.