C’est une avancée majeure qu’a réalisé le Consortium international de génomique du cancer (ICGC). Associés dans un projet de séquençage du génome des tumeurs du sein, des équipes de chercheurs du monde entier, dont une de l’Institut Curie, ont identifié les mutations ou les altérations de 93 gènes responsables de la grande majorité des cancers du sein. Au-delà de la prouesse technologique et scientifique que cela représente, ces résultats ouvrent des perspectives réelles d’amélioration des traitements.
En quoi consistent les résultats présentés par le consortium ?
Dr Anne Vincent-Salomon : Nous avons pu classer les anomalies moléculaires de la structure des chromosomes des tumeurs les plus fréquemment rencontrées. Elles peuvent maintenant être différenciées à un autre niveau, selon treize types d’anomalies chromosomiques. On savait déjà qu’il n’y avait pas un seul type de cancer du sein, mais ce séquençage nous a permis d’atteindre un niveau inédit de précision dans l’hétérogénéité des tumeurs. Nous avons un grand catalogue exhaustif qui sera mis à la disposition de toute la communauté scientifique pour des recherches ultérieures. C’est une base de travail qui permettra d’affiner la prise en charge des cancers du sein.
Comment ont-ils été obtenus ?
Dr Anne Vincent-Salomon : Cette publication est majeure, car beaucoup de tumeurs du sein ont été séquencées entièrement. Elles proviennent de 560 patientes du monde entier, qui présentaient l’essentiel des formes de cancer. Elle est aussi remarquable parce qu’elle est issue d’un effort international, et d’une belle coordination nationale derrière un scientifique très charismatique, le Pr Gilles Thomas, qui malheureusement n’est plus là pour profiter des fruits de ces 8 années de travail (le Pr Thomas est décédé au début de l’année 2014: ndlr).
De quelle manière votre séquençage pourra-t-il être utilisé ?
Dr Anne Vincent-Salomon : Les conséquences thérapeutiques ne sont pas directes. Sur les 26 000 gènes d’un être humain, et les 93 à être impliqués dans les altérations, seulement 10 le sont de manière récurrente (ils reviennent dans 62 % des tumeurs étudiées ndlr). Deux d’entre eux sont bien connus, dont un est une cible potentielle. Mais l’intérêt réside plutôt sur le fait qu’on a pu identifier des signatures d’anomalies de structure des chromosomes, qui peuvent révéler des défaillances de fonctions dans les cellules. L’objectif serait, à terme, de pouvoir restaurer ces fonctions. Plutôt que de viser la mutation, le fonctionnement totalement anormal des cellules cancéreuses pourrait être rétabli.
Les anomalies que nous avons identifiées pourraient être ciblées pour des traitements, mais il sera sans doute aussi possible de gérer les causes. Nous avons récolté les données cliniques et épidémiologiques complètes d’une grande cohorte de patientes. On peut imaginer les trier en fonction de causes qu’on pourrait repérer.
Est-ce un espoir lointain, ou quelque chose de déjà palpable ?
Dr Anne Vincent-Salomon : Il y a encore, et malheureusement, un énorme effort à fournir pour traduire nos résultats sur le génome en résultats cliniques pour les patientes. Dans ces catalogues de mutations, il faut repérer ce qui pourrait nous mettre sur la piste de stratégies de traitement auxquelles nous ne pensons pas encore, mais aussi sur des causes de mutations. C’est encore mieux de prévenir que de guérir.
La description est faite, il faut travailler sur des tests fonctionnels, pour essayer de voir l’impact sur la biologie des cellules. Des travaux similaires sur les cancers du foie ont néanmoins déjà abouti à une modification de la prise en charge des tumeurs. En ce moment, nous cherchons aussi à faire de la désescalade thérapeutique. Les classements que nous proposons maintenant pourraient permettre, peut-être un peu plus rapidement, d’ajuster les traitements, en les diminuant.