Les images d’une jeune fille de 19 ans qui s’est suicidée sous un RER en filmant sur Periscope ses derniers moments ont été visionnées plusieurs centaines de fois. Au-delà du drame personnel lié à la mort de cette adolescente, ces images ont des répercussions psychologiques intenses sur les « followers » et autres témoins des réseaux sociaux. Le Pr Xavier Pommereau, psychiatre au CHU de Bordeaux et auteur de l’ouvrage Le goût du risque à l’adolescence (Albin Michel), décrypte cet impact.
Ces image peuvent-elles provoquer un effet d’imitation sur les adolescents ?
Pr Xavier Pommereau : Nous sommes face à une jeunesse qui se vit à travers ce qu’elle montre. Cette génération a appris à utiliser les vidéos et les photos pour s’exprimer, recueillir des followers, devenir populaire.
Le fait de mettre en scène sa mort en entraînant sa communauté de followers a un effet extrêmement traumatisant pour eux. Ces témoins sont pris en otage par les images ; en même temps, ils sont plongés dans un état d’impuissance, puisqu’ils ne peuvent rien faire. C’est très toxique d’un point de vue psychologique. Et plus le phénomène d’amplification par les réseaux sociaux et les médias est important, plus le risque d’imitation est grand.
Mais l’effroi généré par ces images ne suscite pas plutôt un effet répulsif ?
Pr Xavier Pommereau : Non, car même si les témoins sont horrifiés par ces images, certains – les plus fragiles psychologiquement – se disent que la jeune fille a « réussi » son suicide parce qu’elle a monopolisé l’attention et a fait massivement parler d’elle. C’est de là que peut venir le réflexe mimétique. D’ailleurs, Périscope a eu une très bonne réaction en supprimant immédiatement ce contenu.
Il est urgent d’apprendre aux adolescents à aborder ces images de violence (attentats, agressions, conflits…) qu’ils peuvent trouver en quelques clics sur Internet. Je milite activement pour des « cours de critique numérique » dans les collèges et lycées. Ces cours auraient vocation à faire prendre conscience aux adolescents du pouvoir des images, qui peuvent être aussi violentes qu’un coup de couteau. S’ils ne réfléchissent pas à ce qu’ils regardent, les témoins restent de simples consommateurs d’horreur, avec pour seul ressort qui s’exprime celui du sensationnel et du voyeurisme.
Qu’aurions-nous pu dire aux adolescents témoins de ces dernières images ?
Pr Xavier Pommereau : Nous leur aurions expliqué que cet événement n’est que souffrance. Souffrance de la jeune fille d’abord, mais aussi des témoins et de sa famille. En filmant son suicide, la jeune fille n’avait pas conscience qu’elle allait plonger dans le malheur tant de personnes, que ses images traumatiseraient à la fois ses followers et sa famille. Elle a voulu, semble-t-il, se venger d’un ex-ami qui l’aurait violée. Par la publication de son acte, elle souhaitait lui nuire à lui mais malheureusement, elle n’a pas fait que cela.
C’est extrêmement important d’en débattre avec les adolescents ; eux-mêmes sont très demandeurs de ce type de discussions. Je me souviens d’une dernière vidéo dont nous avons beaucoup parlé en groupe. Elle montrait des jeunes filles coréennes en culotte, formant une ronde autour d’un chiot et lui assenant des petits coups de pieds tout en dansant, jusqu’à l’agonie de l’animal. La vidéo a été partagée des dizaines de millions de fois, les adolescents ont été extrêmement choqués, même si beaucoup n’ont pu s’empêcher de la visionner. Il faut être capable de modérer ces images en mettant en lumière l’impact psychologique qu’elles peuvent avoir, en leur donnant une sorte de sens.