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Entretien avec Karine Gallopel-Morvan

Le paquet neutre incite à l'arrêt du tabac

Par Bruno Martrette

ENTRETIEN - Le paquet neutre s'installe dans les bureaux tabac. Mais pour Karine Gallopel-Morvan, spécialiste en marketing social, il est possible d'aller plus loin.   

VILLARD/SIPA

Voté dans la loi Santé qui a été adoptée fin décembre 2015, le paquet neutre de cigarettes fait ses premiers pas en France. A partir de ce vendredi 20 mai, il sera en effet disponible chez les buralistes français. Une décision prise pour se mettre en conformité avec la récente directive européenne sur le tabac. Mais pas uniquement. Ce jeudi sur LCI, Marisol Touraine a défendu l'introduction en France de cette mesure et n'a pas exclu une augmentation du prix du tabac. 
« Le paquet neutre, c'est laid et c'est fait pour. L'objectif est de casser le côté attractif de beaucoup de paquets de cigarettes », a déclaré la ministre de la Santé. Et pour célébrer cette première en Europe, la locataire de l'avenue Duquesne (Paris) a enfoncé le clou : « Toutes les cigarettes se valent, c'est du poison, un poison de mort et peu importe le paquet : ce qu'il y a à l'intérieur ça tue », a-t-elle martelé.

Résultat, à partir de ce vendredi, les fabricants de tabac n'auront plus le droit de produire pour le marché français des paquets marketés. Idem pour les cartouches ou le tabac à rouler. Ils pourront désormais uniquement fabriquer des paquets sans logo, de couleur vert marron (pantone 448C), comportant des avertissements sanitaires et des photos de malades à hauteur de 65 %.

Et à partir 1er janvier 2017, on ne trouvera plus que ce modèle en bureau tabac. Un espoir dans la lutte contre le tabagisme pour Karine Gallopel-Morvan, professeur à l'Ecole des hautes études en santé publique (Rennes). Cette spécialiste en marketing social précise cependant qu'il est possible d'aller encore plus loin.

Aujourd'hui, dans combien de pays le paquet neutre est-il en vigueur ?
Karine Gallopel-Morvan : Il est en vigueur en Australie depuis 2012. Et il rentre en vigueur en Grande-Bretagne, comme chez nous, aujourd'hui. Il devait également être instauré en Irlande, mais cela a été un petit peu décalé pour des raisons techniques. Il sera probablement mis en place dans quelques semaines. Enfin, plusieurs pays y réfléchissent très sérieusement. C'est le cas du Canada, de la Nouvelle-Zélande, de la Norvège, et de la Suède... Ils sont tous très avancés dans leurs réflexions sur ce sujet.

En Australie, le paquet neutre a-t-il fait ses preuves ?
Karine Gallopel-Morvan : Oui, le paquet neutre casse vraiment le côté très marketing de l'emballage, et l'attractivité de la marque et du paquet. Conséquence, les gens, et surtout les jeunes, ont vraiment l'impression que le paquet est moche, très laid, ça ne leur donne pas envie d'en acheter, et de commencer à fumer notamment.
Par ailleurs, il réduit beaucoup la désinformation des consommateurs sur la dangerosité du produit puisque les cigarettiers utilisent beaucoup le tabac pour les rassurer avec certains produits soit disant "moins nocifs". De plus, il augmente beaucoup les envies d'arrêter de fumer. En Australie par exemple, il a entraîné  une explosion des appels vers la ligne tabac info service du pays pour se renseigner sur l'arrêt du tabac, + 78 % quand il été mis en place.
 

A-t-il réussi à faire réduire le pourcentage de fumeurs australiens ?
Karine Gallopel-Morvan : Oui, en Australie, les jeunes ont moins fumé sur les périodes qui ont succédé au paquet neutre. Les autorités sanitaires ont aussi assisté à une baisse de la prévalence du tabagisme au niveau national.
Maintenant, il faut souligner que d'autres mesures avaient été mises en place en complément du paquet neutre. C'est donc difficile de savoir le rôle exact qu'il a joué dans cette baisse. En parallèle, le gouvernement avait décidé une augmentation des prix, et les paquets sont désormais invisibles (sur les points de vente) et cachés dans des armoires, etc. Ainsi, entre 2012 et 2013, le ministère de la Santé australien a enregistré une baisse de 3,4 % du taux de fumeurs. Encore une fois, on ne connaît pas l'ampleur à attribuer au paquet neutre. 

Pensez-vous que ce phénomène va se produire en France ?
Karine Gallopel-Morvan : Je ne sais pas, mais dans nos études menées en France, nous avons retrouvé des résultats identiques à ceux publiés en Australie. Les fumeurs français à qui on l'a fait tester avaient par exemple plus envie d'arrêter le tabac et de réduire leur tabagisme. Ils déclaraient également avoir l'impression que leur tabac était de qualité moindre, et ils prenaient donc moins de plaisir à le fumer.
Mais dans ces travaux, l'élément le plus intéressant que nous avons relevé est sans doute que les fumeurs laissaient moins traîner leurs paquets neutres aux yeux de leurs enfants. Cela est très important car plus un jeune voit un paquet dans son environnement quotidien, plus il banalise la consommation de tabac. La cigarette deviendra alors pour lui un produit de consommation courante comme un autre.

Ces données françaises laissent-elle présager le meilleur ?
Karine Gallopel-Morvan : Je pense, car ces études de faisabilité montrent toutes la même chose. En Grande-Bretagne, en Nouvelle Zélande, au Canada, et en Espagne, les résultats sont à chaque fois les mêmes. On sait aujourd'hui qu'il y a environ 70 études publiées dans des revues scientifiques qui montrent ces effets bénéfiques du paquet neutre. C'est sûr qu'il va changer les perceptions, les comportements sociaux, et les intentions. Je crois beaucoup en cela d'un point de vue scientifique. Par contre, je ne peux pas dire et affirmer que le paquet neutre va faire baisser de tant de pour cent la consommation en France.
 

Sur l'apparence du paquet, peut-on encore diminuer l'attractivité ?
Karine Gallopel-Morvan : Oui, les Canadiens mettent une petite fiche à l'intérieur du paquet pour informer les fumeurs sur comment on arrête de fumer. Afin de les encourager dans cette démarche, ils mettent aussi dedans des témoignages de gens qui ont arrêté de fumer en présentant les bénéfices de l'arrêt de tabac.
C'est pourquoi je pense qu'en France, on peut aller encore plus loin pour décourager les fumeurs. En faisant du paquet de cigarettes un outil au service de la santé publique et plus du tout au service de l'industrie du tabac pour augmenter ses parts de marché. Après on peut aussi travailler sur la cigarette. Dans des étude récentes, on s'aperçoit en effet que changer son marketing peut avoir un intérêt, surtout qu'on la porte directement à la bouche. Ces données très intéressantes doivent encore être confirmées afin d'alerter efficacement les pouvoirs publics sur cet aspect. 

Ecoutez...
Karine Gallopel-Morvan, spécialiste en marketing social : « Changer le marketing des cigarettes pourrait encore avoir plus d'effets bénéfiques que l'emballage neutre...»

 

Les liens entre Philip Morris et l’Université de Zurich

Dans un article publié mardi, le site Lelanceur.fr a révélé le contrat secret signé entre Philip Morris et l’Université de Zurich (UZH). Cet accord cadre publié dans l'enquête du média lyonnais montre que le numéro un du tabac rémunère la prestigieuse université suisse (12 prix Nobel) pour faire publier, avec un label universitaire, des études qui critiquent l’efficacité des mesures sur le paquet neutre. Le document stipule que Philip Morris peut utiliser à souhait toutes les productions intellectuelles de l’UZH, qui n’a quasiment aucun droit. Résultat, le neutralité de ces travaux est sérieusement remise en cause. 

En Suisse, Oxyromandie, association locale de lutte anti-tabac, dirigée par un ancien spécialiste de santé publique de l’OMS, Pascal Diethelm, a dénombré, au minimum, 7 erreurs erreurs grossières : « Ces erreurs sont très graves. La plupart d’entre elles, prises individuellement, suffisent à invalider les résultats des articles. Prises dans leur ensemble, elles sont accablantes », estime ce spécialiste. Dans un courrier, ce dernier a donc récemment écrit au recteur de l’UZH, le Dr Michael Hengartner, pour lui demander de retirer ces articles du site. Il a joint à son courrier un document sur les erreurs méthodologiques.