Malgré l'opposition de la communauté des addictologues, la Région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse (LR), a adopté jeudi le principe controversé de financer des tests salivaires de dépistage du cannabis et des éthylotests, après délibération du conseil d’administration pour les établissements franciliens qui le souhaitent, cela afin de lutter contre les addictions, « source de décrochage scolaire ».
Ainsi, malgré l'opposition de la gauche et l'abstention du FN, la Région va demander à chaque établissement « d'établir un diagnostic sur la consommation des substances addictives » et d'identifier les éventuels trafics à proximité des lycées. Pour les chefs d'établissement qui le souhaiteront, les tests de dépistage seront « des outils de diagnostic », menés sous couvert du secret médical, et dont les résultats individuels ne seront pas transmis aux chefs d'établissement mais uniquement à la famille ou au lycéen s'il est majeur.
Les risques du cannabis chez les jeunes
Le proviseur ne recevra donc aucun résultat individuel, et seul un bilan global lui sera remis. En fonction de ces résultats, la Région pourra financer des actions de prévention spécifiques et adaptées à la situation de l’établissement. S'il la juge inquiétante, le proviseur pourra financer par exemple le déploiement d’un dispositif de vidéoprotection, demander un renforcement de la présence policière à proximité de l’établissement, ou encore une plus grande sécurisation des trajets entre le lycée et les transports publics, précise la région dans un communiqué.
Ne pas mélanger tous les jeunes
Et pour convaincre sur l'intérêt de ce plan anti-drogue dans les lycées, si polémique, la région rappelle les risques d'une consommation de cannabis chez les jeunes. Spécialiste des addictions chez les adolescents pour la Croix-Rouge française et la Fondation santé des étudiants de France, le Dr Olivier Phan, indique : « Bien sûr, dès qu’il y a une consommation problématique, les jeux, l’alcool et le cannabis altèrent la vie scolaire de l’adolescent ! Le cannabis entraîne des troubles cognitifs et de la mémoire. L’alcool pose des problèmes évidents de concentration », estime-t-il.
Mais en tant que médecin, ce dernier fait aussi la distinction entre un lycéen qui sera tenté de fumer un joint une fois avec ses copains et celui qui consomme plusieurs fois par semaine. « Le cannabis est connu pour être un accélérateur de pathologies psychiatriques, comme la schizophrénie ou les troubles dépressifs ».
D’où l’importance d’une autre mesure du plan qu'il soutient ouvertement, celle de « former les personnels des lycées et mettre en place dans chaque établissement un référent "addiction", afin de mieux repérer et accompagner les élèves ».
La Région formera aussi des « lycéens relais » pour transmettre des messages de prévention auprès de leurs camarades. Elle s’appuiera notamment sur l’expérience et les compétences des associations œuvrant dans ce domaine. Une tâche qui ne sera sans doute pas des plus faciles puisque beaucoup de professionnels de santé sont opposés à la mesure.
Une mesure inefficace sur le plan sanitaire
« Cette mesure n’a pas vocation à régler les problèmes d’addiction – par ailleurs réels – chez les jeunes, mais uniquement à rassurer les parents et les encadrants, estimait récemment dans Pourquoidocteur le Dr Amine Benyamina, président de la Fédération Française d'Addictologie. Quelle aide propose-t-on ? Les dépistages n’ont aucun effet sur la prévalence de la consommation. Par contre, ils risquent de placer les adultes sur un mode inquisiteur, peu propice au dialogue avec les jeunes ». De fait, l’efficacité des tests de dépistage dans les écoles est largement remise en cause.
Dans les années 2000, le Groupe Pompidou, chargé des politiques liées à l’usage de drogues au sein du Conseil de l’Europe, s’est penché sur la question. Dans leurs conclusions, les experts jugaient que « le dépistage ne préserve pas un jeune d’entrer un jour dans une situation d’abus de substances psychoactives » et s’inquiètaient « du risque de stigmatisation et d’exclusion ».
Par ailleurs, ils rappellaient que « l’enseignant est chargé d’une mission pédagogique, censée apporter connaissances et aide dans le processus de maturation de l’enfant. Il n’est pas censé exercer une fonction policière ». Ils concluaient enfin que « le principe de précaution » ne peut pas justifier ce qu’ils estiment être « une atteinte à l’intégrité des élèves ».
Du côté de la Fédération Addiction, on rappelle l’existence des Consultations Jeunes Consommateurs, qui commencent à ouvrir des permanences dans certains établissements. « On forme les infirmières et les soignants au repérage des addictions, expliquait Jean-Pierre Couteron. Et ce, pour préparer à l’étape d’après, puisque le repérage en soit ne sert à rien s’il n’est pas suivi d’une démarche de soins ou de réflexion, selon les circonstances. Si la région a de l'argent, mieux vaudrait qu'elle finance ce genre de dispositifs », concluait-il.