Elle est enfin passée. La loi garantissant la qualité de l’offre alimentaire dans les territoires d’Outre-Mer a été votée en 2013, mais il a fallu attendre trois ans pour que le dernier texte d’application soit promulgué au Journal Officiel. C’est chose faite, depuis ce mardi.
La législation impose aux producteurs locaux et aux industriels de ne pas dépasser les taux limite de sucre fixés en métropole, alors que la plupart des aliments (produits laitiers, glaces, gâteaux, sodas…) contiennent jusqu’à 50 % de sucre en plus. La France d’Outre-Mer fait face une épidémie d’obésité ; 10,5 % des enfants en sont atteints, contre 3 % des enfants en métropole. Pour réduire les concentrations explosives de glucide dans les aliments, le député de la Guadeloupe Victorin Lurel a mené un combat semé de résistances et d'oppositions.
Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour faire appliquer la loi ?
Victorin Lurel : Le bataille a été très longue, dès le début. A l’époque, j’ai été alerté par des médecins qui avaient diagnostiqué une surdose des taux de sucre dans tous les produits alimentaires en Guadeloupe – qu’ils soient importés ou produits localement. En 2011, nous avons raté le vote de la loi de quatre voix seulement ! La ministre des Outre-Mer, Marie-Luce Penchard, a tout fait pour saboter le dossier pour des raisons politiques.
En 2013, la loi est passée et s’est appliquée sur les produits importés. Mais il y a eu en Guadeloupe une forte levée de bouclier concernant le volet production locale. Le lobby a été intense et les freins, nombreux. Les producteurs locaux et les industriels ont conduit un combat d’arrière-garde pour que le texte ne sorte pas. Deux raisons à cela : le sucre étant un conservateur, cela permet de conserver les aliments plus longtemps et de vendre davantage en maximisant les profits. Par ailleurs, le sucre est une substance addictive qui permet d’avoir une clientèle captive. Le producteurs avaient objectivement intérêt à ce que le texte ne sorte jamais.
Mais comment expliquer la présence de ces taux anormalement élevés de sucre?
Victorin Lurel : Il y a eu un discours ambiant pendant des années, véhiculés notamment par les industriels, selon lequel les Antillo-Guyanais, les Réunionnais et les Polynésiens étaient consubstantiellement, génétiquement attachés au sucre. A l’époque, on nous a expliqué qu’il était impossible de réduire les taux car en tant que pays producteurs de canne à sucre, nous avions l’habitude d’en consommer, nos goûts étaient déformés depuis toujours ; bref, nous étions « addict » au sucre.
Moi quand je suis à Paris, croyez-moi, je n’ai pas besoin de rajouter de sucre dans mes yaourts ! D’ailleurs, on ne veut pas empêcher les gens d’en rajouter, mais il faut une règle de bonne conduite en terme nutritionnel. Nous avons choisi de nous caler sur le standard hexagonal - c’est peut-être discutable, mais c'est un choix, qui a été très difficile à faire comprendre. Hélas, le profit passe bien souvent avant la santé…
Concernant les produits importés, la loi sur les taux de sucre est-elle bien appliquée depuis 2013 ?
Victorin Lurel : Elle est applicable, et globalement appliquée… Mais des travaux récemment menés par Suzie Zozio, docteur en sciences agronomiques, et bientôt publiés, montrent que si les taux de sucre ont baissé, ils restent supérieurs à ceux enregistrés en métropole (1).
Le combat n’est pas gagné et il faudra faire preuve de la plus grande vigilance pour vérifier que la loi est bien appliquée. L’Etat doit donner tous les moyens aux agents de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) pour contrôler l’application des textes. Par ailleurs, il faut conforter et renforcer le pouvoir des organisations locales de consommateurs.
(1) L'étude montre notamment que certains produits ont des taux de sucre supérieurs de 40 % par rapport à la métropole.