- Sur 130 000 accidents vasculaires cérébraux recensés chaque année, près de 15 000 pourraient être évités grâce à une prise en charge précoce
- En France, 132 unités neuro-vasculaires ont été mises en place. Mais ces structures dédiées à la prise en charge de l'AVC sont inégalement réparties sur le territoire.
- Seulement 38 centres de neuroradiologie interventionnelle peuvent pratiquer la thrombectomie. Dans certaines régions, il n'y a qu'un seul centre.
130 000 personnes sont touchées par un AVC en France chaque année. Manque de prévention et inégalités d'accès aux soins persistent dans l'Hexagone.
« C’est purement scandaleux ». Le Pr Pierrre Amarenco ne décolère pas. Le chef de service du centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale à l’hôpital Bichat se bat depuis des années pour que l’accident vasculaire cérébral (AVC) soit mieux pris en charge en France. Sur les 130 000 AVC recensés chaque année, près de 15 000 pourraient être évités. Mais l’inégalité d’accès aux soins et le manque de moyens sont les principaux obstacles pour assurer des soins de qualités aux patients.
Avec 40 000 morts par an, l’AVC est la 1ère cause de décès chez les femmes et la 3ème chez les hommes. Pour les survivants, 30 000 chaque année environ, les séquelles sont lourdes et handicapantes.
Lorsque l’attaque survient, c’est une course contre la montre qui démarre pour rétablir l’afflux sanguin au cerveau. Chaque minute de perdue provoque la destruction de plus de 2 millions de neurones. S’il s’agit d’un infarctus ischémique (85 % des cas), les équipes médicales ont 4 heures et demie pour agir et réaliser une thrombolyse.
Les traitements de l’AVC
On distingue deux types d’AVC : l’infarctus cérébral ou AVC ischémique (85 % des cas) lié à l’obstruction d’une artère par un caillot de sang, et l’AVC hémorragique dû à la rupture d’un vaisseau. Les traitements de ces 2 types d’attaques sont très différents, il est donc crucial d’en déterminer la nature.
Lorsqu’il s’agit d’un infarctus cérébral, les équipes neuro-vasculaires peuvent opter pour la thrombolyse qui consiste à injecter par voie intraveineuse un médicament pour détruire le caillot de sang. Ce traitement augmente de 30 % le nombre de patients guéris ou ne présentant que des séquelles minimes.
Pour les patients les plus sévères, la thrombectomie mécanique démontre son efficacité. Cette technique permet de retirer le caillot à l’aide d’un micro-tube introduit dans l’artère fémorale jusqu’à 6 heures après le début des symptômes. Seuls des centres de neuroradiologie interventionnelle sont autorisés à le pratiquer.
Inégalités des chances
Mais en France, l’inégalité d’accès aux soins ne permet pas de proposer ce traitement à tous les patients. En effet, entre 5 et 10 % des malades en bénéficient alors que plus de 20 % y sont éligibles. « Selon l’hôpital où vous allez, le délai d’accès à la thrombolyse est de 20 minutes en moyenne à 1h ou 1h30, déplore le Pr Pierre Amarenco. Nous ne pouvons pas garantir aux malades qu’ils bénéficient d’un égal accès aux soins partout sur le territoire. »
Le délai est d’autant plus long que certains patients doivent être transférés dans un hôpital disposant de l’une des 132 unités neuro-vasculaires (UNV), structures spécialisées dans la prise en charge de l’AVC. C’est notamment le cas des patients qui ont besoin d’une trombectomie. Mais ce traitement est uniquement réalisé dans 38 centres de neuroradiologie interventionnelle. Dans certaines régions, comme l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, le Midi-Pyrénées ou Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, il n’y a qu’un seul centre (voir carte ci-dessous). La création de nouveaux centres est indispensable, mais un problème d’effectif se pose. « Seulement 110 neuroradiologues exercent en France, et tous sont en CHU. Comment fait-on quand on habite à Dieppe, Lorient où la Rochelle pour en bénéficier ? Où est l’égalité des chances et des soins ? », s’interroge le Pr Amarenco.
Répartition nationale des Centres de thrombectomie. La Martinique et la Réunion disposent également d'un centre. Source : Société française de neuroradiologie.
Traiter c’est bien, prévenir c’est mieux
Malgré ces dysfonctionnements, la thrombolyse et la thrombectomie ont permis d’améliorer considérablement le pronostic des victimes d’AVC. Mais il est aussi possible d’agir en amont pour l'éviter. En effet, dans 25 % des cas, l’AVC est précédé d’un accident ischémique transitoire (AIT). Si les patients sont pris en charge dans les 24 heures après son apparition, le risque d’AVC ultérieur est réduit de moitié. Ce serait 15 000 AVC évités par an, a révélé une étude internationale coordonnée par le Pr Amarenco, et publiée fin avril dans le New England Journal of Medicine.
L’intérêt d’une prise en charge ultra-précoce de l’AIT pour prévenir l’AVC n’est pas nouvelle. Déjà en 2007, l’équipe neuro-vasculaire de Bichat démontrait l’efficacité de leur clinique SOS-AIT. Grâce à cette prévention d’urgence, les risques d’attaque cérébrale sont réduits de 80 %. La même année, des travaux de l’université d’Oxford (Royaume-Uni), dirigés par le Pr Peter Rothwell, corroborent ces résultats.
La Grande-Bretagne mise sur la prévention
Convaincu de la nécessité d’organiser la prévention de l’AVC via les cliniques SOS-AIT, le Royaume-Uni a choisi de miser sur ces structures spécialisées. Plus de 200 unités ont d’ores et déjà ouvert leur portes. « Avant la mise en place de ces cliniques d’urgence, les patients victimes d’un AIT étaient admis en service de neurologie ou en médecine interne, mais ils devaient attendre parfois plusieurs jours, voire semaines, avant d’être pris en charge. Résultat : beaucoup de patients faisaient un AVC avant d’être vus par un médecin. Nous estimons que ces cliniques d’urgences préviennent 10 000 AVC par an au Royaume-Uni », explique le Pr Peter Rothwell, ajoutant que le pays s’est aussi lancé dans ce vaste projet de développement pour réduire le coût économique et social de l’AVC avoisinant les 9 milliards d’euros par an. La France n’est pas loin derrière avec une dépense annuelle de 8,4 milliards d’euros, selon la dernière évaluation réalisée au début des années 2000.
Manque de moyens financiers et humains
Mais en France, ces résultats ne créent pas l’enthousiasme. Seulement 2 cliniques SOS-AIT existent : l’une à Paris et l’autre à Toulouse. Pourtant de nombreux spécialistes y croient et tentent de lancer ces initiatives, à l’instar du Pr Norbert Nighoghossian, chef du service de neurologie vasculaire aux Hospices civils de Lyon. Le neurologue mène un combat administratif depuis plus de 7 ans pour créer une clinique SOS-AIT. « Après 25 réunions à l’Agence régionale de santé et les innombrables dossiers déposés, nous avons obtenu la création d’une plateforme de jour avec 2 lits, explique-t-il. Elle devrait ouvrir en juin 2017 et permettre la prise en charge de 4 à 8 patients victimes d’un AIT, soit 500 par an ». A son arrivée à la tête du service, le neurologue s’était déjà battu pour obtenir des lits supplémentaires dans son unité neuro-vasculaire. Mais si le Pr Nighoghossian a su faire preuve d’opiniâtreté pour obtenir ces places et les personnels nécessaires, d’autres jettent l’éponge.
Pourtant, le ministère de la santé semblait avoir pris conscience des enjeux. En 2010, il lance un plan national sur 4 ans pour « réduire la fréquence et la gravité des séquelles liés aux AVC ». Les efforts sont alors concentrés sur le développement des unités neuro-vasculaires et la mise en place du dispositif de télémédecine appelée TéléAVC permettant aux hôpitaux dépourvus d’UNV de communiquer avec des neurologues spécialisés. Mais en 2016, aucun bilan n’a été réalisé et aucun autre plan n’est prévu. « Il faudrait un plan gouvernemental qui permettrait de développer les aspects de soins, d’éducation et de recherche. Après tout l’AVC vaut bien la maladie d’Alzheimer, le cancer ou le Sida », assène le Pr Amarenco.
Et du simple fait du vieillissement de la population, le poids de l’AVC sera grandissant. Avec 8,5 millions décès attribués à l’AVC en 2030 dans le monde, contre 6,7 millions aujourd’hui, l’Organisation mondiale de la santé parle même de pandémie.