Une crise meurtrière. La dernière livraison du Lancet nous en apprend un peu plus sur les liens entre santé et environnement socio-économique. Une étude des Universités d’Harvard, d’Oxford et du Collège de Londres, se penche sur les liens entre les cancers et la crise de 2008 dans les pays de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économiques).
Si résultats sont attendus, les chiffres donnent malgré tout froid dans le dos. En 2010, en plein milieu de l’épisode de récession, la crise est associée à 260 000 cancers mortels supplémentaires, dont 160 000 pour l’Union Européenne.
Les dégâts de la récession
Pour parvenir à cette observation, les auteurs ont passé en revue et comparé les données de 75 pays touchés ou épargnés par la crise, représentant plus de deux milliards de personnes pendant 20 ans (1990-2010). Ces statistiques émanent de l’Organisation Mondiale de la Santé et de la Banque Mondiale.
Selon les chercheurs, deux facteurs contribuent à expliquer une telle augmentation des cancers mortels. Le chômage et ses conséquences sanitaires auraient ainsi une part de responsabilité dans ces décès, de même que les coupes budgétaires dans le secteur de la santé, qui ont touché tous les pays contraints de mettre en place des plans de rigueur – et ils sont nombreux.
« Le cancer est une cause majeure de mortalité à travers le monde, commentent les auteurs. Il est donc crucial de comprendre comment les changements économiques influent la survie face à ces pathologies ».
Des données éparpillées
L'étude montre que dans les pays qui disposent de la couverture médicale universelle, comme la France, l’association semble moins évidente. Et pourtant, elle est loin d’étonner les spécialistes de la souffrance au travail, qui ne cessent de démontrer l’impact des phénomènes macroéconomiques sur la santé des populations.
« Le problème, c’est que nous avons un tas de données épidémiologiques sur l’augmentation des infarctus chez la femme, sur la hausse des suicides de salariés, sur l’aggravation de la santé des chômeurs… mais pas d’outils pour mettre en avant une corrélation globale entre ces chiffres et notre système économique productiviste », explique Marie Pezé, psychanalyste et fondatrice des consultations cliniques Souffrance et Travail.
Il faut donc se contenter de ces données éclatées, éparpillées dans la littérature scientifique, pour se forger une idée de l’impact sanitaire des difficultés économiques rencontrées par les Etats et par leurs forces de travail.
Concernant le chômage, cet impact n’est toutefois pas bien difficile à évaluer. L’Inserm s’est récemment prêté au jeu au cours d’une étude. Dans leurs conclusions, les auteurs estiment que 14 000 décès par an seraient imputables au chômage, en raison des facteurs de risques psychologiques (stress, dépression…) mais aussi de la multiplication des comportements à risque (tabagisme, alcoolisme, moindre qualité de l’alimentation…).
Paupérisation
Les personnes qui disposent d’un travail ne sont toutefois pas à l’abri. La crise a généré une plus forte insécurité de l’emploi et peut mener, là aussi, à adopter des comportements risqués. « On assiste par exemple à une forte hausse de l’hyperprésentéisme, ajoute Marie Pezé. Il s’agit d’employés qui ont un arrêt maladie mais ne le prennent pas, par peur de perdre leur emploi ou de ternir leur image de travailleur productif ».
Quant aux tailles dans les budgets publics, elles n’ont certainement pas eu en France le même impact que celui observé en Grèce. « Toutefois, il faut comprendre que ces mesures se sont traduites par des situations très concrètes : le développement de la chirurgie ambulatoire et la réduction de la durée des séjours hospitaliers, les restrictions sur les séances de kinésithérapie, la limitation des arrêts maladie… ». De fait, l'hôpital français est sommé de se serrer la ceinture afin d'économiser trois milliards d'euros d'ici 2017.
Par ailleurs, les familles paupérisées ont elles aussi été menées à tailler dans leur budget santé, et à sacrifier des consultations médicales ou des soins dentaires qu’elles n’ont pas les moyens d’avancer quand elles ne bénéficient pas de la CMU.
Au final, Marie Pezé, comme bon nombre de ses collègues chercheurs, n’hésite pas à l’affirmer : « Ce n’est pas l’alcool, le tabac ou l’alimentation, les plus grands facteurs de mortalité ; c’est le niveau socio-économique ».
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