L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et ses partenaires célèbrent la Journée mondiale sans tabac ce 31 mai. Cette manifestation a pour but de souligner les risques pour la santé liés au tabagisme et de plaider en faveur de politiques efficaces pour réduire la consommation de tabac. Dans cette bataille contre le tabac, la France fait figure de modèle. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, recevra même un prix de la part de l'agence onusienne pour l'instauration du paquet neutre chez les buralistes français, une première en Europe.
A cette occasion, Pourquoidocteur a interrogé le Pr Yves Martinet. Le président du Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) répond aux questions que tout le monde se pose sur le tabac.
2 fois moins de fumeurs aux USA qu'en France
La popularité de la cigarette recule aux Etats-Unis. En l’espace d’un an, la part d’Américains qui fume est passée de 16,8 % à 15,1 %. Un recul qui poursuit la tendance marquée depuis 1997. A cette époque, un quart des habitants du pays fumaient. En revanche, la répartition outre-Atlantique ne varie pas selon ces dernières données des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) : les hommes sont toujours plus nombreux que les femmes à griller des cigarettes (16,7 % contre 13,6 %).
Des chiffres à faire pâlir de jalousie les autorités sanitaires françaises, puisqu'en France, c’est près d'un tiers de la population qui fume.
Pour le Pr Yves Martinet, « le problème est que la France dispose de lois, mais qui ne sont pas appliquées ». Il cite par exemple l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs « pas respectée », idem pour la prohibition totale du tabac dans les bars et restaurants, « pour laquelle il n'y a quasi aucun contrôle », regrette-t-il.
Enfin, dans certains états des États-Unis, il rappelle que le prix du tabac est très élevé. Il estime que cela peut décourager certains fumeurs.
Johan Cruyff meurt du tabac 25 ans après avoir arrêté
De nombreux amateurs de ballon rond ont encore en tête les exploits footballistiques de Johan Cruyff. Le joueur néerlandais est malheureusement décédé, fin mars, des suites d'un cancer du poumon. Agé de 68 ans, le capitaine emblématique des Pays-Bas avait pourtant arrêté le tabac en 1991, à l'âge de 44 ans, après avoir subi une opération du coeur.
Pour expliquer ces pathologies liées aux tabac qui se déclarent tant d'années après l'arrêt de la substance, le Pr Yves Martinet confie : « quand on arrête de fumer, le risque de cancer du poumon diminue, mais il reste toujours un risque résiduel ». « C'est parce que quand on fume, on a des modifications de l'épithélium bronchique, du revêtement des bronches, qui s'autonomisent et peuvent se transformer en cancer », précise-t-il.
Cancer : pourquoi la mortalité grimpe chez les femmes
Par ailleurs, les données du Baromètre santé Inpes 2014 ont apporté leur lot de bonnes nouvelles. Le nombre de fumeurs français réguliers (qui fument tous les jours) a baissé pour la 1ère fois depuis 2010, passant de 29,1 % en 2010 à 28,2 % en 2014. La consommation de tabac chez les femmes de 20 à 25 ans est notamment passée de 39 % en 2010 à 32,5 % en 2014 et de 35,7 % à 28,7 % pour les femmes de 26 à 34 ans. Pourtant, dans cette même population, le cancer du poumon poursuit son avancée, selon une étude parue dans Annals of Oncology. Comment l'expliquer ?
Pour le Pr Yves Martinet, « il y a un décalage dans le temps entre le moment où l'on commencer à fumer et le moment où survient le cancer du poumon ». « Il y a une certaine inertie des cancers du poumon », reconnaît ce spécialiste.
"Avec le tabac, des chanceux s'en sortent, comme à Verdun..."
En France, chaque année, 47 000 fumeurs décèdent d’un cancer dont 28 000 d’un cancer du poumon, 20 000 des suites d’une maladie cardiovasculaire et 11 000 de maladies respiratoires. Malgré ces chiffres affolants, chaque Français a dans son entourage un gros fumeur qui affiche une santé flamboyante. De là à dire que certains sont protégés contre le tabac, il n'y a qu'un pas que ne franchit pas le Pr Yves Martinet. « C'est de la chance », lâche-t-il. « C'est un petit peu comme sur le champ de bataille à Verdun. Beaucoup y sont morts, mais pas tout le monde ». Face à cette part d'aléatoire, le pneumologue (1) indique qu'il y sans doute également une part de génétique, « même si le cancer du poumon familial est très rare, contrairement au cancer du sein ou du colon ».
« Enfin, on sait que les expositions professionnelles jouent un rôle », ajoute-t-il.
La tabac aggrave les inégalités sociales
Dans un document sur son site, le CNCT rappelle que les personnes issues de catégories socio-professionnelles moins favorisées sont plus nombreuses à fumer et sont moins nombreuses à parvenir à arrêter. Les plus gros fumeurs sont les plus pauvres, déplore-t-il. Ainsi, en France, alors que la prévalence moyenne est de 30 %, la part des ouvriers et des chômeurs est respectivement de 43 et 49 %.
Il existe également un lien fort entre diplôme, emploi, revenu et statut tabagique : les moins diplômés sont en moyenne 45 % à fumer alors que cette proportion est limitée à 26 % pour les personnes ayant un diplôme universitaire.
Selon le Pr Yves Martinet, ce phénomène n'est pas facile expliquer surtout que les prix du tabac continuent à augmenter. « Ce qui est sûr, c'est que les messages de santé publique passent moins bien dans ces classes là. C'est observé dans tous les pays du monde. Ils sont moins bien compris et ces classes font moins confiance à l'expertise de certains ». « Cela ne concerne pas seulement le tabagisme mais aussi les autres comportements autour de la santé, comme l'alcool par exemple », conclut-il.
(1) Chef du service de Pneumologie au CHU de Nancy
A l'occasion de la Journée mondiale sans tabac, l’Institut National du Cancer (INCa) met à la disposition des professionnels de santé (chirurgiens, anesthésistes, oncologues médicaux, spécialistes d’organes, médecins généralistes, infirmiers) un nouvel outil pour accompagner leurs patients vers l’arrêt du tabac.
Ce guide donne des clés pour mieux appréhender les bénéfices de l’arrêt du tabac pour les patients, fait le point sur les idées fausses et précise les modalités et différents niveaux d’intervention possibles afin de favoriser l’arrêt du tabagisme chez les personnes malades d’un cancer.
Cette action s’inscrit dans les objectifs du Plan cancer 2014-2019, qui prévoit la systématisation de l’accompagnement à l’arrêt du tabac dans la prise en charge des patients atteints de cancer.