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Manque de soutien

Démence : le retard de diagnostic met les malades en danger

Par Anne-Laure Lebrun

Les personnes âgées souffrant de démence non diagnostiquée continuent à conduire ou préparer leurs repas alors qu'elles ont besoin d'aide pour réaliser ces tâches.

jarenwicklund/epictura

Les seniors souffrant des premiers signes de démence mais qui n’ont pas encore été diagnostiqués sont deux fois plus susceptibles d’adopter des comportements dangereux pour eux-mêmes et pour les autres comme conduire, cuisiner, ou prendre leurs médicaments, selon une vaste étude publiée ce jeudi dans Journal of the American Geriatrics Society.

La démence est l’une des principales causes de handicap et de dépendance chez les personnes âgées. Elle affecte la mémoire, le raisonnement, l’orientation, la compréhension, le calcul, le langage et le jugement. La grande majorité des cas (60-70 % des cas) sont liés à la maladie d’Alzheimer. Les traumatismes cérébraux, comme l’accident cardiovasculaire cérébral (AVC), sont aussi la cause de ce syndrome.


Une maladie méconnue

Chaque année, on dénombre 7,7 millions de nouveaux cas dans le monde. Mais malgré tout, la démence est encore méconnue, ce qui engendre des obstacles aux diagnostics. « Dans les pays occidentaux, on estime qu’entre 40 et 50 % des personnes atteintes de troubles cognitifs chroniques, comme la maladie d’Alzheimer, ne sont pas diagnostiquées », indique le Pr Pierre Krolak-Salmon, responsable du Centre de mémoire, de ressources et de recherche de Lyon qui n'a pas participé à ces travaux.
Et lorsque les malades sont identifiés, il s’est passé des années et leur état s’est aggravé. « Lorsque les patients souffrant de démence sont diagnostiqués, leurs familles sont conscientes qu’il arrivera un moment où leurs proches ne seront plus en mesure de conduire ou auront besoin d’aide pour prendre leurs médicaments, souligne Halima Amjad, interne à l’école de médecine de l’université Johns Hopkins et responsable des travaux. Mais si ces patients ne sont pas diagnostiqués, le malade lui-même et sa famille n’ont pas conscience des troubles entraînés par la maladie. »

 

Ecoutez...
Pierre Krolak-Salmon, responsable du Centre de mémoire, de ressources et de recherche de Lyon : « Il y a plusieurs facteurs qui expliquent ce retard diagnostic. Tout d'abord, les patients eux-mêmes ne signalent pas des troubles de mémoire ou de langage et l'entourage peut minimiser les signes. »

 

L’équipe américaine a alors voulu évaluer les conséquences sur le quotidien des malades non diagnostiqués. A partir de 2011, ils ont suivi plus de 7 600 personnes de plus de 65 ans. Au cours de cette période, les volontaires ont été invités à plusieurs reprises à réaliser des tests cognitifs afin de détecter les signes de démence et identifier les malades. Lors de ces rencontres, ils étaient également interrogés sur leurs activités quotidiennes et conditions de vie comme leur capacité à conduire, cuisiner, se laver seul, gérer les finances de la maison ou encore le nombre de chutes. En parallèle, les chercheurs ont eu accès aux dossiers médicaux de tous les volontaires et ont pu déterminer qui avait été diagnostiqué.


Etre attentif aux premiers signes

Les résultats révèlent que les patients souffrant de démence non diagnostiquée ne sont pas autant soutenus et aidés que les patients diagnostiqués. En effet, près d’un tiers des patients ignorant leur démence continuent à conduire contre 17 % des volontaires ayant conscience de leur maladie.
De même, plus de 40 % des premiers continuent à se préparer des plats chauds alors que seulement 17 % des seconds se font encore à manger. Et au risque de prendre les mauvais médicaments, les patients souffrant d’une démence non diagnostiqué sont encore 50 % à s’en occuper contre 22 % des seniors pris en charge. 

« Quand le patient et l’entourage connaissent la maladie, cela permet de prendre des mesures de prévention adaptées pour éviter des complications très graves. Gérer ses médicaments si on en est plus capable, cela peut être extrêmement dangereux car on peut oublier de prendre un médicament indispensable ou au contraire prendre 2 fois un anticoagulant par exemple et être exposé à un risque hémorragique grave », souligne le Pr Krolak-Salmon

Pour Halima Amjad, ces résultats devraient provoquer une prise de conscience chez les personnels médicaux et les familles dont un proche présente les premiers signes de la démence. « Si les personnes âgées ont des difficultés à réaliser ces différents activités, il faut qu’elles puissent consulter un spécialiste. Les familles sont en première ligne pour repérer lorsqu’un proche ne devrait plus conduire ou a besoin d’aide pour ces médicaments. Cela exige d’être attentifs et conscients que nos proches vieillissent et que le risque de démence est de plus en plus présent », souligne-t-elle. 

Un avis partagé par le spécialiste français. Mais encore faut-il que le grand public connaissent les signes suspects de la démence. « Si une personne âgée a complètement oublié le dernier repas de famille, la dernière visite des enfants ou le dernier voyage, et si ces événements ne reviennent pas en mémoire alors qu’on lui donne des indices ou des photos, alors ce type d’oubli est suspect », explique le Pr Krolak-Salmon.

La perte de repères dans sa ville ou dans son quartier sont aussi des plaintes suspectes. «  Ce qui doit alerter, c’est la cassure de la capacité de mémorisation qui a lieu entre 6 mois, un an ou deux ans. Ce n’est pas une perte de mémoire qu’on signale depuis 10 ans. L’entourage constate une dégradation », précise-t-il. Ainsi, chercher ses lunettes partout, arriver dans une pièce et oublier ce qu’on venait y faire ne sont pas des plaintes inquiétantes si elles sont isolées.