Les patients atteints d’insuffisance rénale les plus instruits ont presque deux fois plus de chances de bénéficier d’une greffe de rein que les malades les moins diplômés, révèle une étude française publiée ce mercredi dans la revue Population. Ces travaux dirigés par le sociologue Christian Baudelot de l’Ecole Normale Supérieure et du Centre Maurice-Halbwachs, en collaboration avec l’association de patients Renaloo, sont les premiers à montrer ces inégalités d’accès à la transplantation rénale en France.
Pour mener cette étude, l’équipe s’est appuyée sur l’enquête des Etats généraux du rein 2012 et l’enquête Quavi-REIN 2011 menée grâce au registre de l’Agence de la Biomédecine. Au total, 11 400 patients en dialyse ou transplantés ont été interrogés sur leur niveau de diplôme, profession et revenus. « Ces deux sources convergent vers la même conclusion : quels que soient la tranche d’âge et le sexe, les patients diplômés ont plus souvent accès à la greffe que les autres », indique Christian Baudelot à Pourquoidocteur.
En France, plus de 76 000 personnes souffrent d’insuffisance rénale terminale. La greffe de rein, réalisée à partir d’un donneur décédé ou vivant, représente le meilleur traitement en termes de survie et de qualité de vie pour ces malades. Et bien que tous ne soient pas éligibles à la greffe, environ 1 800 malades pourraient être inscrits sur la liste, selon la Haute Autorité de Santé.
Des dialyses rentables
Pour expliquer ces inégalités d’accès aux soins, le sociologue évoque 3 hypothèses. Tout d’abord, « les catégories les moins diplômées, les plus vulnérables, sont plus souvent frappées par des pathologies qui représentent des contre-indications à la greffe rénale comme l’obésité ou le diabète. Mais cette hypothèse médicale n’explique pas tout », explique-t-il. En effet, l’organisation du système de soins aurait favorisé la dialyse au détriment de la transplantation rénale.
Cette dernière s’exerce uniquement dans des centres hospitaliers universitaires tandis que la dialyse est en grande partie prise en charge par des cliniques privées et des associations à but non lucratif. « Et la généralisation de la tarification à l’acte avec des forfaits de dialyse entièrement pris en charge par la sécurité sociale rend le système de la dialyse très rentable à la fois pour les cliniques et les hôpitaux publics », souligne Christian Baudelot. Une hypothèse confirmée par un rapport de la Cour des Comptes rendu public en septembre 2015 dans lequel les Sages de la rue Cambon soulevaient que « la plupart des malades ont trois séances de quatre heures chaque semaine, ce qui génère un revenu de près de 6 000 € par patient et par an pour le praticien présent. De fait, ce dernier n’est pas incité à orienter sa patientèle vers les alternatives possibles. »
Disparités géographiques
L’organisation du système de soins est également responsable des inégalités géographiques dans l’inscription sur liste d’attente. Certaines régions seraient en effet plus enclines à inscrire les patients dialysés sur la liste, à l’instar de l’Ile-de-France où 87 % des malades de moins de 60 ans étaient inscrits sur la liste d’attente en 2011, contre seulement 36 % en région Provence-Alpes-Côtes-d’Azur. Ajouter à cela que 8 départements (Alpes de Haute-Provence, Ariège, Creuse, Eure, Jura, Lozère, Haute-Marne et Haute-Saône) n’ont pas de centres autorisés au prélèvement en 2014.
Enfin, le sociologue souligne que les patients les plus instruits, et ce quel que soit la pathologie, savent mieux s’orienter dans l’univers médical car ils sont mieux informés et comprennent le parcours de soins. Ainsi, ils peuvent accéder aux meilleurs traitements.
La liste d'attente égalitaire
Cependant, ces inégalités s’estompent une fois que le malade a été inscrit sur la liste d’attente car ce n’est plus un médecin qui décide de l’ordre des priorités mais un algorithme mathématique mis en place par l’Agence de la Biomédecine. Ce système permet ainsi l’équité entre les malades et supprime le facteur discriminant qu’es le diplôme.
Pour remédier à ces inégalités, le sociologue suggère de modifier le système de tarification à l’acte. Il insiste également sur l’importance de développer la greffe de reins à partir de donneurs vivant, en améliorant l’information donnée aux patients et aux familles, et notamment les plus vulnérables.