C’est un étonnant bilan que dresse le cabinet de conseil KPMG dans son rapport sur le marché illicite des cigarettes dans l’Union Européenne. Un document commandé par l’industrie du tabac (Philip Morris, British American Tobacco, Imperial Tobacco et Japan Tobacco International), qui nous apprend que le commerce illicite du tabac « représente une cigarette sur dix consommées depuis 2010 ».
53 milliards de cigarettes...
Les rapporteurs montrent en filigrane que les données officielles, les chiffres communiqués par le politique sur la consommation et les ventes de tabac, ne cessent de sous-estimer la réalité. Qu’en somme, les gouvernements échouent lamentablement dans leur quête de sevrer les populations ; de toutes façons, celles-ci trouveront toujours un moyen de se procurer les précieuses marchandises, fût-il illégal.
« Le volume total des produits de Contrefaçon & Contrebande consommés au sein de l’UE a atteint 53 milliards de cigarettes, les volumes les plus importants revenant à la France et à la Pologne », peut-on lire.
11 milliards d'euros de manque à gagner
Et le rapport enfonce le clou en rappelant aux Etats le montant des recettes qui leur passent sous le nez … « Si le volume des cigarettes de C&C avait été acheté de façon licite, des recettes fiscales complémentaires atteignant €11,3 milliards auraient été obtenues », martèlent les auteurs. Pour la France, « où les prix pratiqués sont plus élevés que dans tous les marchés voisins », le manque à gagner est évalué à 2,3 milliards d’euros.
Nul besoin d’un dessin pour comprendre ce que ces chiffres veulent démontrer. Le lobby du tabac, à l’origine de la commande du rapport, a fait de l’achat de contrebande un argument phare de sa stratégie de communication contre le paquet neutre et la hausse des prix du paquet. L’industrie a d’ailleurs longtemps été soupçonnée d’organiser elle-même ce marché parallèle pour renforcer la réalité de cette idée, mais aussi pour tirer profit des produits non taxés.
Pressions
Dans un communiqué, le CNCT a immédiatement réagi. Le rapport, décrit comme une « intox de première », ne poursuit qu’un objectif : « entretenir l’idée d’un commerce illicite majeur avec des chiffres sans cesse en hausse et faire oublier l’implication [des fabricants] passée et présente dans les trafics ». Une implication par ailleurs « largement documentée et démontrée ».
« La période est sensible pour les cigarettiers qui font pression pour empêcher l’application du protocole de l’OMS de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac, explique encore le CNCT. Ce dernier comporte notamment un dispositif de suivi et de traçabilité des produits, indépendant des fabricants, susceptible de le confondre dans ses pratiques de contrebande ».
Dans ces circonstances, que penser des informations délivrées par KPMG ? La réponse se trouve probablement dans l’ « avis important » qui sert de préambule au rapport. « Nous nous sommes assurés, dans la mesure du possible, de la cohérence entre les informations présentées dans ce rapport et nos sources d’information mais n’avons pas cherché à établir la fiabilité des sources d’information par référence à d’autres éléments de preuve ». Une formule bien compliquée pour un message très clair…