Au lendemain du coup d’envoi de l’Euro 2016, des échauffourées entre les supporters russes et anglais ont enflammé les rues de Marseille. Une dizaine d’entre eux ont été blessés, dont un entre la vie et la mort.
Ces éclats de violence, survenus moins de 24 heures après le début de la compétition de football, semblent gâcher quelque peu les festivités. Si le hooliganisme est mis en cause, l’alcool entre lui aussi en ligne de compte. L’état du Vieux-Port après les affrontements en est un bon témoin : débris de bouteilles et canettes de bière vides jonchaient le sol.
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Que ce soit à Paris, Marseille ou Lille, l’alcool coule à flot très tôt dans l’après-midi. Hasard du calendrier, la Fédération Addiction tenait son congrès annuel dans la cité Phocéenne, où ont eu lieu les affrontements. « Les quelques bars en question ont servi de l’alcool à flot, sans limite et sans aucun contrôle, témoigne Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération qui était sur place. Les tireuses à bière étaient démultipliées. »
Des groupes de hooligans ont clairement été mis en cause lors des affrontements entre Russes et Anglais le 11 juin. L’alcool est alors apparu comme un amplificateur. Mais la mort d’un supporter Nord-irlandais à Nice (Alpes-Maritimes), dans la nuit du 12 au 13 juin témoigne bien de l’ampleur du problème : l’homme, fortement alcoolisé, a chuté du haut d’une rambarde non loin de la Promenade des Anglais.
Alors comment limiter les risques de cette ivresse, même festive ? Sur décision du ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, la vente d’alcool autour des stades et des fan zones sera interdite les veilles et jours de matches. Une décision tardive mais surtout facile à contourner : les supporters pourront toujours acheter de l’alcool avant les horaires de fermeture ou bien parcourir quelques mètres de plus afin de sortir du périmètre défini. Dans les faits toutefois, cette mesure réduit les risques. « On sait bien qu’un périmètre de sécurité n’apporte pas la solution à tout mais cela diminue une partie du problème », concède Jean-Pierre Couteron.
Un brasseur dans les fan zones
En amont, les villes ont tout de même anticipé les dégâts de l’alcool chez les supporters. Les 10 villes qui accueillent les matchs ont déployé des actions de sensibilisation. La ville de Paris a même pris 6 mois d’avance en la matière. « On cible prioritairement les jeunes et les adolescents avec des maraudes en binôme qui ont lieu avant et pendant les matchs, autour des stades et des fan zones », résume Bernard Jomier, adjoint à la Maire de Paris chargé de la santé. Brochures, espaces de repos, matériel de réduction des risques sont proposés aux fans du ballon rond.
Mais selon l’aveu de Bernard Jomier, ces efforts ne suffisent pas. L’Etat doit aussi participer. Et dans ce domaine, tout reste à faire. « Les villes seules ne peuvent pas tout faire, peste l’adjoint à la santé. Ce n’est pas la ville qui a donné les fan zones à un brasseur mais l’Etat. Tout à coup, le ministère de l’Intérieur prend conscience du fait qu’il y a un problème avec l’alcool. »
De fait, la marge de manœuvre des municipalités est limitée, notamment parce que la gestion des fan zones revient à l’UEFA et aux sponsors. Ainsi, des membres du service ont parcouru le Champ de Mars avec des sacs à dos estampillés d'une marque célèbre de bière pour proposer de remplir les verres vides, incitant donc à la consommation.
Une station tapissée à la bière
Cet Euro de football met en lumière un problème récurrent dans l’attitude de l’Etat vis-à-vis de l’alcool : sa politique est faite de paradoxes et d’aller-retour. « En France, on n’arrive pas facilement à une solution intermédiaire. Résultat : on fait tout et son contraire en se drapant dans des discours sur la dangerosité de l’alcool mais on se couche face aux intérêts économiques », déplore Jean-Pierre Couteron.
Ce manque de lisibilité, la Cour des Comptes le dénonce dans un rapport à paraître ce 15 juin, dévoilé par Europe 1. Les Sages de la rue Cambon estiment que les gouvernements font preuve de « complaisance » à l’égard de l’industrie de l’alcool. Pour preuve : la station République entièrement tapissée à la gloire d’une marque de bière, comme l’a tweeté l’adjoint à la Mairie de Paris en charge de la Santé.
« On tapisse des stations entières du métro parisien de publicités pour une marque d’alcool. C’est de l’irresponsabilité totale, lâche Bernard Jomier. Il faut casser ce lien valorisant entre l’alcool et le sport. Le message est dramatique. »