ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > L'euthanasie reste un acte marginal en France

Enquête auprès de 5000 médecins

L'euthanasie reste un acte marginal en France

Par Afsané Sabouhi

L’euthanasie représente moins de 1% des décisions médicales prises en fin de vie. L’Ined publie pour la première fois un éclairage chiffré qui montre que la loi Léonetti reste très mal connue.

JDD/SIPA

« Enquêter sur des pratiques que l’on croyait indicibles, qui sont parfois aux limites de la loi n’allait pas de soi. Il nous manquait pourtant des données aussi factuelles que possibles pour éclairer le débat ». Le souhait du Pr Régis Aubry, président de l’Observatoire de la fin de vie vient d’être exaucé. L’Institut national d’études démographiques (Ined) publie dans sa revue Population&Sociétés une enquête très fouillée sur les décisions médicales prises avant la survenue d’un décès.

Il en ressort que si l’euthanasie alimente beaucoup de polémiques, dans les faits, elle est rarement demandée par les malades. 16% émettent le souhait d’accélérer leur mort mais seuls 1,8% font explicitement une demande d’euthanasie à leur médecin. Quant à la situation du médecin mettant fin par des médicaments aux jours d’un patient à la demande de celui-ci, elle représente moins d’un cas sur 100, sachant qu’à l’heure actuelle la loi française interdit cette pratique.

Ecoutez le Pr Régis Aubry, président de l’Observatoire de la fin de vie : «  0,2 à 0,6% des décisions médicales relèvent de l’euthanasie en France ».

 

Pour donner cet aperçu chiffré de la fin de vie en France, les chercheurs de l’Ined ont interrogé plus de 5000 médecins signataires d’un certificat de décès au cours du mois de décembre 2009. La question était de savoir, sous couvert de l’anonymat le plus total, quelles sont les décisions médicales prises dans ces moments délicats sans chercher à évaluer ces pratiques, ni sur le plan des recommandations scientifiques, ni en fonction de ce que la loi autorise.

Il apparaît que dans près de la moitié des cas, le médecin décide d’augmenter les antidouleurs, d’arrêter ou de ne pas initier un traitement en sachant qu’il pourrait ainsi hâter la mort de son patient. « Un décès sur deux survient donc suite à la mise en œuvre de la loi Léonetti, sans acharnement thérapeutique et en faisant tout pour que le patient puisse mourir sans souffrir », souligne le Dr Vincent Morel, président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs.
La loi Léonetti, qui encadre depuis 2005 la fin de vie en France, interdit l’obstination déraisonnable ou acharnement thérapeutique, en laissant l’appréciation du caractère déraisonnable au patient ou à ses proches.

L’enquête de l’Ined montre qu’il reste tout de même encore beaucoup à faire pour que ce dialogue avec le corps médical soit systématique. « Il y a une marge importante de progression pour arriver à des pratiques médicales plus respectueuses des souhaits des personnes malades », souligne le Pr Régis Aubry. Selon l’enquête de l’Ined, une décision susceptible d’accélérer le décès est prise plus d’une fois sur cinq sans en discuter avec le malade, alors même qu’il est conscient et apte à en parler.

Ecoutez le Dr Vincent Morel, pneumologue et président de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs : « Quand la personne est inconsciente, il faut que le médecin demande ce que le patient aurait souhaité »


Lorsque le patient n’est plus conscient, ses proches sont sollicités dans plus de la moitié des cas. Mais moins de 2% des malades ont rédigé des directives anticipées et moins d’un sur deux a désigné une personne de confiance chargée de parler en son nom. Pour Vincent Morel, « c’est le signe que la loi Léonetti reste très mal connue des Français malgré leur intérêt pour les questions touchant à la fin de vie ».

« Notre étude n’avait pas vocation à répondre à la question de faire évoluer ou non la loi sur l’euthanasie, insiste le Pr Aubry. Elle donne seulement une photographie de la réalité des décisions prises par les médecins qui font face à  la fin de vie de leurs patients ».
Une photographie qui devrait venir alimenter le débat et étayer le rapport sur la fin de vie que l’ancien président du Comité consultatif national d’éthique Didier Sicard doit remettre à François Hollande le 22 décembre prochain. Le président de la République avait évoqué en juillet son intention « d’aller plus loin » que la loi Leonetti, une formulation déjà plus nuancée que sa promesse électorale de faire voter une loi autorisant l'euthanasie active pour les personnes en fin de vie qui en feraient la demande. Quelque soit la réalité aujourd’hui chiffrée par l’Ined, les partisans de la légalisation de l'euthanasie ne manqueront pas de le rappeler à sa parole.