C’est un rapport détonnant qu’a produit l’Anses. Dommage qu’il n’ait pas encore été publié – il ne le sera peut-être jamais. Il faut dire que le sujet est particulièrement sensible : le rapport traite des « Expositions professionnelles aux pesticides en agriculture ». Les associations environnementales attendent sa publication depuis neuf mois ; par trois fois, elle a été reportée, bloquée par les différents ministères.
Le journal Le Monde a toutefois pu s’en procurer une partie – suffisante pour se forger une idée de la portée de ce document. On apprend d’abord que les auteurs ont rencontré d’intenses difficultés à collecter des informations sur l’exposition professionnelle aux pesticides, tant les données sont lacunaires en France. Et pour cause… « Aucune organisation en France n’est chargée de les produire », indiquent-ils.
« Invisibilité des problèmes »
Plus d’un million de personnes sont exposées aux pesticides en France, et malgré l’accumulation de preuves sur leur toxicité, le recours aux produits phytosanitaires n’a cessé de croître. En 2014, 60 000 tonnes de produits ont été déversées sur le territoire, soit 9 % de plus que l'année précédente.
Par ailleurs, entre 2002 et 2010, la sécurité sociale agricole a reconnu 47 maladies chroniques d’origine professionnelle. Mais il ne s’agit probablement que de l’infime part émergée de l’iceberg ; en fait, l’absence d’accès aux données et le manque de transparence génèrent une « invisibilité des problèmes », selon la formule des rapporteurs citée par Le Monde.
Et il ne faut compter sur les industriels pour améliorer la connaissance des risques liés aux produits qu’ils fabriquent. Lors de l’homologation des substances, les données toxicologiques sont particulièrement succinctes, et d’une fiabilité scientifique très douteuse. « Les dossiers d’homologation auxquels l’Anses a eu accès s’appuient sur des cohortes limitées de dix à quinze personnes », révèle le quotidien.
Conflits d'intérêts
Il faut donc se pencher vers les autorités politiques pour espérer des mesures de protection… Sauf que le rapport pointe le manque d’indépendance et les nombreux conflits d’intérêts qui minent le champ. Le ministère de l’Agriculture a certes promis de réduire le recours aux pesticides, et désigné des organismes placés sous sa tutelle pour mener à bien cette mission. Mais il est permis de douter de leur efficience.
« La mission de conseil n’est en réalité exercée par aucune entité indépendante, estiment les experts, qui regrettent notamment le manque d’information sur les biocides destinés aux bâtiments d’élevage. Leur rapport épingle la multiplicité des conflits d’intérêts, en citant, entre autres, des vétérinaires qui réalisent 40 % de leur chiffre d’affaires en prescrivant des produits antiparasitaires pour les troupeaux », précise encore Le Monde.
Au final, le rapport décrit un pays à la traîne en matière de protection sanitaire des professionnels exposés aux pesticides. Quand d’autres nations ont mis en place un suivi médical de leurs agriculteurs, la France, elle, fait l’autruche et préfère enterrer ses rapports.