« Nous avons l’impression d’avoir été trahis par les Anglais », confie le Pr Philippe Froguel. Professeur de génétique à l’Imperial College de Londres et de diabétologie au CHRU de Lille, le médecin partage son temps entre l’Angleterre et la France depuis 2000.
Au sein de ces deux grandes institutions, il participe à de nombreux projets de recherche largement financés par l’Union Européenne (UE). Des travaux aujourd’hui remis en cause par le Brexit, voté le 24 juin dernier.
« La recherche médicale britannique, aujourd’hui dominante en Europe, risque de s’écrouler, prévient, inquiet, le chercheur. Si la Grande-Bretagne a pu atteindre ce niveau, c’est grâce aux coopérations et aux crédits de recherche européens. C’est une véritable catastrophe pour eux, mais aussi pour la recherche européenne. »
De fait, avec 20 % des fonds européens alloués aux équipes britanniques, la Grande-Bretagne est le premier bénéficiaire de ce système – que les eurosceptiques dénoncent mais qu’ils ont su si bien utiliser. Quitter l’Europe signifie donc perdre 1,4 milliard d’euros par an. Une perte colossale qui ne pourra pas être compensée par les fonds britanniques. La fin des crédits européens sonnera ainsi la fin de nombreux projets de recherche.
Incertitude
Six jours après la victoire du "Leave" dans les urnes, l’incertitude s’est donc installée dans l’esprit des chercheurs britanniques ou expatriés. Car la force de la recherche européenne réside dans ces échanges de « cerveaux ». Le Brexit pourrait ainsi encourager la fuite de ces experts ou décourager certains d’accepter un poste en Grande-Bretagne.
Mais les expatriés qui choisissent de rester auront-ils besoin de visa de travail ? Et qu’en est-il des chercheurs, comme le Pr Philippe Froguel, qui vivent et travaillent à la fois en Grande-Bretagne et dans un pays membre de l’UE ? C’est le flou absolu. L’angoisse. « Mais ce qui est certain, c’est que les employeurs britanniques, et notamment les universités, vont réfléchir à deux fois avant d’engager un chercheur ou médecin venant du continent puisque personne ne sait quelles seront leurs conditions de séjour », déplore le médecin français.
L’exemple suisse
L’avenir incertain de la recherche britannique rappelle l’inquiétude dans laquelle se trouvaient les instituts de recherche suisses en 2014 à l’issue d’un vote en faveur de la sortie de l'espace Schengen. Immédiatement, l’Europe avait sanctionné la Suisse en gelant tous ses financements. « Nous avons vraiment été exclus de la partie intéressante des programmes européens pendant 6 mois. Mais ce sont les jeunes chercheurs qui ont surtout été concernés, explique Jean-Luc Barras, responsable de la division de coopération internationale au Fonds national suisse (FNS). En effet, les chercheurs ciblés par les mesures d’exclusion étaient justement ceux qui n’auront qu’une ou deux occasions de déposer une requête au Conseil européen de la recherche pour affirmer leur carrière. Certains ont donc pu louper une occasion, et c’est vraiment dommage ».
L’obtention de ces subventions est également un gage de qualité pour les scientifiques, un laisser-passer royal pour ceux qui souhaitent internationaliser leurs recherches. A l’instar des jeunes doctorant suisses, les jeunes chercheurs britanniques risquent eux aussi de voir leur carrière bousculée par le Brexit.