« Si tout se passe comme prévu, nous commencerons à traiter les premiers patients de l’essai fin 2013 ». L’essai clinique qu’évoque l’ophtalmologiste José-Alain Sahel fait partie des grands espoirs de ce 26e Téléthon. Il concernera la neuropathie optique héréditaire de Leber (NOHL), une maladie génétique rare de la vue, qui condamne en quelques mois de jeunes adultes à la cécité. Près de 4000 malades sont recensés en France.
Ecoutez le Pr José-Alain Sahel, ophtalmologiste et directeur de l’Institut de la Vision : « Cette maladie, pour le moment incurable, transforme un adolescent en aveugle en quelques semaines »
La particularité de cette maladie génétique, c’est que les gènes qui sont défectueux ne sont pas situés dans l’ADN du noyau des cellules mais dans celui des mitochondries, les centrales énergétiques de nos cellules. Il faut donc envisager une thérapie génique un peu particulière. L’idée de base de la thérapie génique, c’est de remplacer le gène déficient par un gène sain. Comment ? En véhiculant ce gène médicament jusqu’au noyau des cellules concernées grâce à un virus, désarmé de son potentiel infectieux.
Une première mondiale pour les « bébés-bulle »
L’idée est envisagée par la communauté scientifique depuis la fin des années 60 pour traiter les maladies génétiques rares. Mais le passage de la théorie à la pratique ne s’est pas fait sans encombre.
A partir des années 90, les outils de biotechnologies se sont suffisamment développés pour rendre cette thérapie techniquement réalisable. La première démonstration mondiale de son efficacité chez l’homme est réalisée à l’hôpital Necker à Paris en 1999. En introduisant un gène médicament dans les cellules souches de leur moelle osseuse, Alain Fischer et Marina Cavazzana-Calvo réussissent à corriger le défaut génétique responsable de l’absence de système immunitaire des « bébés-bulle ». Mais l’essai est interrompu brutalement en 2002 lorsqu’une leucémie est diagnostiquée chez l’un des enfants traités. Quatre des dix enfants traités à Paris seront finalement atteints par ce cancer et l’un d’entre eux en décèdera.
La thérapie génique a alors du plomb dans l’aile. Mais l’équipe cherche à comprendre et c’est le virus vecteur du gène-médicament qui est finalement incriminé dans l’apparition des leucémies. Il a depuis été modifié pour sécuriser la thérapie génique, les essais ont repris et une cinquantaine d’enfants dans le monde ont pu sortir de la bulle qui les protégeait de toute infection que leur corps n’aurait pas pu combattre. Depuis 2011, l’équipe de l’hôpital Necker a lancé un nouvel essai de thérapie génique dans une autre maladie héréditaire du système immunitaire, le syndrome de Wiskott-Aldrich. Un 3e devrait débuter en 2013 pour lutter contre la granulomatose septique chronique, une maladie rare des globules blancs.
L'oeil, une cible idéale pour la thérapie génique
Après les pionniers des déficits immunitaires, ce sont les spécialistes des maladies de la vision qui se sont emparés de la thérapie génique. L’œil a plusieurs atouts pour ce type de traitement. C’est un organe relativement isolé du système immunitaire, avec un petit nombre de cellules à traiter et une grande facilité à observer les éventuels effets indésirables.
Ecoutez le Pr José-Alain Sahel, ophtalmologiste et directeur de l’Institut de la Vision : « Les quantités de vecteur nécessaires sont infinitésimales et s’il y a un problème, on le voit tout de suite. »
A la suite des résultats spectaculaires chez le chien relayés lors du Téléthon 2006, l’équipe d’ophtalmologistes du Pr Michel Weber au CHU de Nantes a commencé fin 2011 à traiter 6 jeunes adultes atteints de l’amaurose congénitale de Leber, l’une des principales maladies en cause dans les cécités de l’enfant. Si les médecins se refusent pour le moment à évaluer les résultats, les patients parlent eux déjà d’amélioration de la vision des couleurs et de leur acuité visuelle.
La prochaine étape sera donc l’essai prévu dans la neuropathie optique héréditaire de Leber, la première thérapie génique pour une maladie de l’ADN des mitochondries. « Marisol Corral-Debrinski, une chercheuse de l’Institut de la vision a découvert une séquence adresse qui permet qu’un gène du noyau soit traduit en protéines qui sont ensuite expédiées vers les mitochondries », explique le Pr Sahel. C’est ce système d’expédition à l’intérieur de la cellule qui va être mis à profit pour la thérapie génique. Le gène-médicament sera classiquement introduit dans l’ADN du noyau, des protéines fonctionnelles seront alors produites et adressées vers les mitochondries où elles iront supplanter les protéines défaillantes, responsables de la cécité brutale.
Le Téléthon 2012 intervient donc à un tournant de la thérapie génique. Et les fonds sont plus nécessaires que jamais au vu du coût de ces gènes-médicaments. Le traitement d’un seul patient dans le cadre d’un essai clinique peut se chiffrer en millions d’euros. Mais « les maladies rares sont un laboratoire d’innovations pour pouvoir traiter demain les maladies les plus fréquentes », répètent chaque année la présidente de l’AFM et les chercheurs pour inciter tous les Français à composer le 3637 pour faire un don. Cette année, ils peuvent même parler au présent. Douze malades atteints d’une forme avancée de la maladie de Parkinson ont été traités par thérapie génique à l’hôpital Henri Mondor à Créteil. Si l’innocuité et les premiers résultats favorables se confirment à long terme, la thérapie génique pourrait changer d’échelle, la maladie de Parkinson touchant en France plus de 150 000 malades.