Le chantier de l’étiquetage nutritionnel serait-il miné de l’intérieur ? L’expérimentation de quatre codes couleurs, affichés sur les emballages alimentaires, démarre en septembre. Mais ce sont désormais quatre membres du comité de pilotage qui ont annoncé leur démission au ministère de la Santé, qui coordonne les travaux. Le dernier à jeter l’éponge est une sommité. Yves Lévy, PDG de l’Inserm, a démissionné ce 7 juillet, selon l’AFP et Le Monde. Ses « réserves et critiques » sur la mise au point des tests n’auraient pas été suffisamment prises en compte.
D’âpres négociations
Annoncée en mai, l’expérimentation des différents codes couleurs nutritionnels a du plomb dans l’aile. A partir de septembre, et pendant trois mois, une cinquantaine de supermarchés vont adopter un étiquetage simplifié : à l’aide de couleurs et symboles, les consommateurs seront informés sur la qualité des aliments en rayon.
A l’issue de ces tests « en conditions réelles d’achat », le ministère de la Santé décidera quel code sera choisi. Parmi les systèmes évalués, l’un est proposé par la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) qui a intensément bataillé afin d’obtenir un compromis, comme l’expliquait Pourquoidocteur dans une enquête.
Mais ces âpres négociations ont tourné à l’avantage des industriels. Le comité de pilotage, chargé de superviser la mise au point du protocole, a intégré plusieurs parties prenantes. A sa tête président le directeur général de la Santé, Benoît Vallet, et Christian Babusiaux, président du Conseil d’administration du Fonds français pour l’alimentation et la santé (FFAS) – financé en majorité par l’industrie agro-alimentaire.
Le ministère se défend
Au sein du comité scientifique, qui a défini les conditions de l’expérimentation, les liens avec l’industrie sont aussi fréquents. C’est d’ailleurs en partie cela qui a motivé la démission de trois de ses membres.
Car, avant Yves Lévy, Philippe Ravaud (Inserm), Denis Hémon (Inserm) et Karine Gallopel-Morvan (EHSEP) ont décidé de se retirer. Ils dénonçaient un climat délétère, « de nombreux biais » et conflits d’intérêt. Selon les informations de l’AFP, le PDG de l’Inserm a également ressenti un manque d’écoute concernant ses réserves sur la rigueur du protocole. L’Inserm, contactée par Pourquoidocteur, n’a pas souhaité commenter cette affirmation.
Depuis le départ de ces experts, la situation ne s’est pas arrangée. La société chargée de réaliser les tests sur le terrain est un prestataire régulier de l’industrie agro-alimentaire. LinkUp, société de conseil, se targue de travailler pour l’ANIA (Association nationale des industries alimentaires), Nestlé ou encore Kinder.
Le ministère de la Santé, contacté par Pourquoidocteur, se veut rassurant sur ce point : un « lobbying autour du logo nutritionnel » est bien reconnu. Mais le cabinet de Marisol Touraine le compare à celui subi lors de la mise au point du paquet neutre – adopté en mai. « L’ensemble de l’étude scientifique est financé à 100 % sur des fonds publics », à savoir l’Etat et l’Assurance maladie, ajoute le ministère qui précise que les décisions seront prises après la remise des résultats.
Ces conclusions feront l’objet d’une analyse indépendante par l’Anses, qui a déjà remis un avis sur les deux logos proposés et deux autres codes existant à l’étranger.