Comment convaincre un jeune médecin de s’installer dans un territoire que les autres professionnels et même les habitants désertent peu à peu ? Quels arguments donner à une jeune femme qui sort de la fac médecine pour reprendre un cabinet dans un village où la crèche ou l’école ont fermé ?
Résultat, 2 à 3 millions de Français, répartis sur 4200 communes, vivraient dans des déserts médicaux. Ils seront plus nombreux demain. Un généraliste sur quatre partira à la retraite dans les cinq ans et 56% des nouveaux praticiens sont des femmes.
Les prévisions sont connues et les différents gouvernements ont tenté de résoudre l’équation. Le précédent voulait user de la coercition. Marisol Touraine préfère l’incitation. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, le ministre de la Santé et des Affaires sociales détaille son plan de lutte contre la désertification médicale. Elle compte s’appuyer sur la médecine de proximité pour garantir un égal accès aux soins pour tous.
Inutile de chercher une mesure miracle dans ce plan, Marisol Touraine veut impulser une mobilisation générale. Elle souhaite « sécuriser » le moment de l’installation des jeunes médecins par des bourses ou des aides pendant deux ans. Reste à savoir si la politique volontariste sera plus efficace que la méthode du bâton brandie par ses prédecesseurs.
Philippe Berrebi
L'enjeu de la proximité pour tous
Marisol Touraine : Aujourd’hui, l’accès aux soins n’est plus égal sur le territoire. C’est un des défis majeurs à que nous avons à relever que de garantir l’accès aux soins de tous en termes financier et géographique. Nous sommes à un tournant de notre système de santé. Les demandes des patients ont évolué, ils sont soucieux d’être accompagnés davantage à domicile ; les jeunes médecins ne veulent pas travailler comme leurs aînés et la réalité des maladies à prendre en charge a aussi évolué vers des maladies chroniques. Et j’ajoute le vieillissement de la population. Il y un enjeu de proximité. Ce qui doit devenir le pivot de notre système de santé, c’est la médecine de proximité. Et si nous voulons la garantir pour tous, il faut s’attaquer aux déserts médicaux.
Incitation plutôt que coercition
Marisol Touraine : Je ne crois pas à la coercition. Les moyens de contournement existeraient quand on sait qu’un jeune médecin sur dix s’installe tout de suite, que trois autres préfèrent les remplacements et que la médecine salariée est de plus en plus attractive.
Il n'y a pas une mesure magique
Marisol Touraine : Il faut une mobilisation générale, il n’y a pas une mesure magique qui, à elle seule, va permettre de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels de santé pour s’installer. Il doit y avoir un ensemble cohérent de mesures. J’ai identifié les obstacles sur la route d’un médecins qui s’installe et nous apportons des réponses concrètes.
Objectif : 100% de stages en médecine générale
Marisol Touraine : Nous avons trois grands axes. Le premier, c’est de changer la formation et faciliter le moment de l’installation des jeunes médecins. Les stages en médecine générale doivent devenir la règle pour tous les étudiants. Je fixe l’objectif de 100% de stages dans un cabinet libéral. On sait qu’un étudiant qui n’en a pas fait a moins de chance d’aller s’installer dans un secteur plus difficile d’accès.
Sécuriser l'installation
Marisol Touraine : Le deuxième objectif dans la formation est de permettre à des étudiants en médecine, qui ont besoin d’être soutenu financièrement pendant leurs études, de disposer des bourses. Elles existent mais n’ont pas été valorisées. Je fixe donc un objectif volontariste de 1 500 bourses d’engagement de service public d’ici 2017.
C’est aussi dans l’esprit de la sécurisation de l’installation des médecins que j’ai fait voter la mise en place de 200 contrats de praticiens territoriaux de médecine générale dès 2013. Je veux m’arrêter un instant sur cette mesure car elle a fait couler beaucoup d’encre. Ce sont des contrats à destination de médecins libéraux. Nous ne sommes pas du tout dans la perspective d’une médecine salariée, comme certains le disent. Ce sont de jeunes médecins libéraux qu’il s’agit de sécuriser, d’accompagner dans le moment de leur installation. Les internes de médecine générale ont salué cette mesure. Les jeunes médecins installés depuis peu de m’ont dit que le moment de l’installation, en particulier dans un territoire dans lequel où ils n’étaient pas nécessairement connus, était difficile parce qu’il faut prendre les premiers crédits, il faut s’installer et il faut aller à la rencontre de sa patientèle. Ce n’est pas un revenu minimum mais une mesure de sécurisation de l’installation des jeunes médecins.
Un accès aux soins urgents pour tous en moins de 30 minutes
Marisol Touraine : Nous devons enfin investir dans les territoires avec des structures pour entourer la médecine libérale. Elles permettront de garantir l’accès aux soins urgents en moins de 30 minutes. Les premières installations se feront dès le début de l’année prochaine. Et je veux que le territoire soit entièrement couvert en matière d’urgence d’ici 2015
Le calendrier: Y aller tout de suite et fort
Marisol Touraine : C’est à l’échelle d’un quinquennat mais pour moi la volonté, c’est d’y aller tout de suite et très fort. Je vais mobiliser les agences régionales de santé qui devront me rendre des comptes tous les mois. Les financements sont inscrits dans notre budget courant. L’enjeu est moins financier qu’une mobilisation de l’ensemble des acteurs.
Entretien avec Cécile Coumau