Au dernier trimestre 2015, le Conseil National de l'Ordre des Pharmaciens (CNOP) a lancé un vaste chantier de refonte du code de déontologie, dont la dernière version date de 1995. Un vaste chantier qui enflamme la toile depuis plusieurs jours.
A l’issue de ces consultations et des divers groupes de réflexion, un projet de texte de 48 articles (77 actuellement) a émergé. Parmi ceux-ci, figure un possible article R. 4235-18, l'article de la polémique. Il dispose en effet que : « Sans préjudice du droit des patients à l’accès ou à la continuité des soins, le pharmacien peut refuser d’effectuer un acte pharmaceutique susceptible d’attenter à la vie humaine. Il doit alors informer le patient et tout mettre en œuvre pour s’assurer que celui-ci sera pris en charge sans délai par un autre pharmacien. Si tel n’est pas le cas, le pharmacien est tenu d’accomplir l’acte pharmaceutique ».
Le gouvernement demande une clarification
Tout de suite, les défenseurs des droits des femmes et les militants de la contraception sont montés au créneau. Pour eux, pas question que la France revienne en arrière sur ses acquis. Et la crainte s'est exacerbée. Notamment à cause d'une récente consultation par Internet (fin 2015-début 2016) des pharmaciens où l'article en question a reçu une large proportion de oui : 85 % des répondants (sur 75 000 sollicités).
En réaction, Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des Femmes, a demandé une clarification à l'Ordre : « Le simple fait d’interroger les pharmaciens sur ce sujet nous rappelle que l’accès à la contraception et à l’IVG, en tant que droits à part entière, n’est jamais définitivement acquis. Il serait raisonnable de la part de la Présidente du CNOP de clarifier l’objet de cette consultation et de réaffirmer l’attachement de l’Ordre à assurer aux femmes leur autonomie et la liberté de choisir leur contraception », écrivait-elle ce mardi dans un communiqué. Une prise de position soutenue par près de 6 000 citoyens qui ont signé la pétition mise en ligne sur change.org.
Des débats sur la fin de vie selon l'Ordre
Pour éteindre l'incendie, Isabelle Adenot, présidente de l'Ordre, a livré sa version des faits quelques heures plus tard. Pour elle, tout partirait d'un malentendu. « Les débats qui se sont déroulés au sein de l’Ordre sur cet article n’ont jamais porté sur la contraception mais sur la fin de vie, situation souvent très délicate à gérer par les pharmaciens de ville et d’hôpital », rappelle-t-elle dans un communiqué. Contactée par Pourquoidocteur, elle pense que l'article est clair : « Il s'agit ici du décès, d'euthanasie ». D'après elle, les pharmaciens ne demanderaient qu'une égalité de traitement avec les médecins, car cette clause de conscience existe déjà dans de nombreux pays d'Europe (1) pour les pharmaciens.
En réponse à Laurence Rossignol, elle ajoute qu'« il n’est évidemment pas question dans cette proposition de texte, de pilule du lendemain, de stérilet ou même de préservatif ! Le préservatif d’ailleurs, sauf erreur de ma part, n’a jamais attenté à la vie humaine mais est là pour la protéger ! », fait-elle remarquer au passage.
Et c'est ensuite que la plume de Isabelle Adenot devient acerbe : « Des pharmaciens se feront un plaisir d’expliquer à Madame la Ministre le mode d’action des contraceptifs. Ces propos non documentés de la Ministre sont consternants à ce niveau de responsabilité de l’Etat et créent un climat de désinformation très préjudiciable pour les patients et le public », lâche-t-elle.
I. Adenot réaffirme son attachement à la contraception
Visiblement très en colère, la présidente de l'Ordre a tenu à souligner que quand un pharmacien en Gironde refuse de vendre des contraceptifs par conviction religieuse, c’est le Président d’un Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens qui a porté plainte, « et non pas Mme Rossignol », souligne-t-elle.
Isabelle Adenot oublie cependant de dire que Marisol Touraine, en personne, avait immédiatement réagi à l'affaire. Dans un tweet, la ministre de la Santé s'était dite « choquée qu'un pharmacien ose encore refuser la contraception à des femmes. Honteux. Le combat pour la contraception (est) toujours d'actualité ».
Une position partagée par Isabelle Adenot qui affirme que l'Ordre a écrit de nombreuses lettres à des pharmaciens pour leur rappeler que la pilule du lendemain était obligatoirement gratuite chez les mineurs. « Vous trouverez cela dans la lettre et le journal de l'Ordre. L'institution doit faire en sorte que les pharmaciens respectent et appliquent ces lois et ces textes », conclut-elle.
Pour savoir si cette clause de conscience sera retenue, il faudra attendre le 5 septembre, jour où le CNOP se rassemblera en conseil national pour statuer.
(1) Allemagne, Belgique, Irlande, Italie, Portugal, Royaume-Uni