Après les attentats vient le temps des analyses. C’est alors que l’on découvre que l’auteur était mentalement déséquilibré, socialement mal inséré, que c’était un perdu, un vaurien, une petite frappe au passif de petit délinquant, un être humain en mal d’identité et en quête de reconnaissance quelle qu’elle soit…
Il est impossible de brosser le profil-type des auteurs des attentats qui ont frappé la France ces derniers mois et l'Allemagne ces derniers jours. Il est encore moins pertinent, et acceptable, de justifier ces actes par de prétendues pathologies psychiatriques. Toutefois, les portraits dessinés au fil du temps interrogent : la cause terroriste exerce-t-elle une attractivité parmi ceux qui présentent des fragilités psychologiques, et qui auraient pu, dans d’autres circonstances, opter pour un mode plus « banal » d’action extrême – un suicide solitaire, un meurtre « classique »… ? Nous avons posé ces questions à Daniel Zagury, expert psychiatre auprès des tribunaux.
Le discours et l’acte terroriste exercent-ils une attractivité accrue auprès de certaines personnes instables psychologiquement ?
Daniel Zagury : Il est absurde de chercher à psychiatriser le phénomène actuel de terrorisme. Il n’y a pas de types de terroriste, de cartographie à établir. Si l’on se penche sur les différents profils d’auteurs d’attentats en France, on constate d’une part quelques malades mentaux avérés, qui passent à l’acte en réponse à leur délire, mais ils sont rarissimes. D’autre part, on a des sujets normaux, bien équilibrés, avec une continuité de leur sentiment d’identité, mais là aussi, ils se comptent sur les doigts d’une main.
Entre les deux, on a tout le reste. Il s’agit de personnalités troublées, fragiles, carencées ; des toxicomanes, des borderline, des pré-psychotiques, des petits délinquants… Ce sont des paumés du petit matin qui se saisissent d’une cause vaguement idéologique, qui réalisent des exhortations lancées à la cantonade par Daesh - qui n’a qu’à attendre que le premier raté de l’existence fasse le boulot pour ensuite rafler la mise. Tout au long de l’histoire, d’une manière générale, ceux qu’on a envoyés comme chair à canon, ce n’était pas l’élite ; ici, c’est la piétaille de Daesh, des ratés qui s’approprient une cause qui fera d’eux des « héros ».
Dans un autre contexte, ces personnes auraient-elles pu opter pour un mode plus classique d’action – meurtre, suicide… ?
Daniel Zagury : C’est possible. Le terrorisme, le discours de Daesh, la reprise médiatique et politique des événements, tout cela permet à un certain nombre de sujets d’avoir un « modèle exemplaire d’inconduite », terme utilisé en anthropologie. Au fond, la société offre à des déprimés, des ratés qui ressassent leur haine et leur sentiment d’existence manquée, une issue « ready made », toute prête à l’emploi. Dans sa tête, l’auteur de l’acte terroriste s’interroge : est-ce que je vais me suicider et crever tout seul dans mon coin, ou bien réaliser un acte qui va faire de moi quelqu’un de célèbre, un héros grandiose qui va marquer l’histoire ?
Plusieurs éléments expliquent l’attractivité de cette issue « prête à l’emploi ». D’abord, il y a le mimétisme, ce qu’on appelle des « modes criminelles » : un homme pousse quelqu’un dans le métro et deux semaines après, un autre cas semblable survient. Puis, il y a le bouillon de culture, l’échec de l'intégration des différentes populations, les guerres en Irak et en Syrie ainsi les ordres proférés par Daesh, mais on entre là dans des analyses plus sociétales et politiques.
Comment lutter contre l’attractivité du « suicide terroriste » auprès des personnes fragiles ?
Daniel Zagury : Les hommes politiques et les médias ont une conduite à tenir, un langage à adopter. Il faut arrêter d’afficher partout les photos des terroristes car cela participe à leur gloire mortifère, à leur consécration, qui fait écho à leur mégalomanie. Qui a sa photo dans tous les kiosques du pays, à part les stars ? A chaque attentat, cela devient ridicule – l’information en direct, les éditions spéciales, les experts appelés manu militari pour commenter…
Par ailleurs, certains mots devraient être bannis. Il faut arrêter de parler « d’opération » minutieusement préparée. Ils ont tiré dans la foule, foncé avec un camion sur des femmes et des enfants, ce n’est pas une « opération »… Le terme rend l’acte sophistiqué, il le valorise. Sans le vouloir, les médias tombent dans des pièges sur lesquels il faut réfléchir pour les éviter.