La Route de la soie aurait été la voie royale pour les maladies infectieuses et parasitaires. Cette thèse est confirmée pour la première fois. A l’appui de celle-ci : des bâtons millénaires encore souillés de matières fécales. La méthode est peu conventionnelle, puisqu’elle mêle archéologie et analyse scientifique, mais concluante. Diverses maladies ont été transmises le long de cette route commerciale par les hommes et les femmes qui l’ont empruntée. C’est la conclusion d’une équipe de l’université de Cambridge (Royaume-Uni), qui publie dans le Journal of Archaeological Science: Reports.
Une route populaire
La Route de la soie a connu son essor sous la dynastie Han, en Chine (202 avant J.C. à 220 après J.C.). En France, les récits de Marco Polo ont popularisé cette voie commerciale, largement empruntée depuis des millénaires. En effet, elle rallie la zone de la Méditerranée orientale aux confins de l’Est de l’Asie. Soldats, marchands et dignitaires ont parcouru ces longs kilomètres pendant des siècles. A leurs côtés, divers bactéries, virus et parasites. C’est en tout cas ce qu’on supposé des chercheurs à plusieurs reprises, observant de fortes similitudes entre les souches de peste bubonique, d’anthrax et de lèpre entre les deux continents.
Ne manquait qu’un élément clé : les preuves formelles. « Jusqu’ici, il n’existait aucune preuve montrant que la Route de la Soie est responsable de l’extension des maladies infectieuses, explique Piers Mitchell, qui signe cette étude. Elles auraient pu s’étendre de la Chine vers l’Europe par l’Inde, au Sud, ou la Mongolie et la Russie, au Sud. »
Source : Jori Avlis/Flickr
Des œufs de parasites
La preuve est venu d’un lieu peu habituel : des latrines. Ces lieux d’aisance se situent au sein d’un relais majeur le long de la route de la soie, à l’est du bassin du Tarim qui borde le désert du Taklamakan. Le relais Xuanquanzhi aurait été fondé sous la dynastie Han, en 111 avant notre ère, et utilisé jusqu’en 109 après J.C. Des archéologues ont excavé plusieurs « bâtons hygiéniques », ancêtres sommaires de notre papier hygiénique. Ces morceaux de bois sont destinés à retirer la matière fécale de l’anus, à l’aide d’un tissu enroulé à un bout. Quelques morceaux de tissus, encore souillés malgré les siècles, ont été prélevés.
« Quand j’ai observé pour la première fois des œufs de la douve de Chine sous mon microscope, j’ai compris que nous avions fait une grande découverte », se souvient Hui-Yuan Yeh, co-signataire de l’étude. Et pour cause : outre les matières fécales, des œufs de vers parasites sont toujours présents sur les bâtons hygiéniques. Quatre espèces, plus précisément : ascaris (Ascaris lumbricoides), trichocéphale (Trichuris trichiura), ténia (ou ver solitaire, Taenia sp.) et douve de Chine (Clonorchis sinensis). C’est ce dernier ver qui apporte la preuve qui manquait tant.
1 500 km d’errance
La douve de Chine est à l’origine de douleurs abdominales, diarrhées, jaunisse et, à terme, d’un cancer du foie. Ce parasite a besoin, pour se développer, d’espaces où l’eau est abondante, voire marécageuses. Le relais de Xuanquanzhi, situé en zone aride et presque désertique, ne correspond en rien à ces exigences. En fait, il faut parcourir 1 500 km vers l’ouest pour trouver une localisation plus propice à son développement, autour de la ville de Dunhuang.
« Trouver des traces de ces espèces dans des latrines indique qu’un voyageur s’y est rendu depuis une région de Chine où l’eau est abondante, et où le parasite était endémique », résume Hui-Yuan Yeh. Pendant tout ce temps, le voyageur en question a conservé le parasite. Le même phénomène s’observait sans doute avec les maladies infectieuses. Pour Piers Mitchell, qui résume ces travaux sur le site The Conversation, « cela rend plus probable l’idée que la peste bubonique, la lèpre et l’anthrax ont été répandus le long de la route de la soie. »