Les virus peuvent guérir des maladies. Injectés volontairement dans l’organisme, certains sont capables d’abriter des gènes modifiés en laboratoire et devenir alors médicaments. La thérapie génique s’avère particulièrement précieuse pour lutter contre les pathologies qui trouvent leur source dans l’ADN. Récemment, de réels progrès ont été accomplis dans ce secteur, explique une équipe française dans Human Gene Therapy. Qu’elles soient génétiques ou acquises, un grand nombre d’affections neurologiques pourraient bientôt en bénéficier. Parmi elles : Alzheimer, Parkinson et plusieurs maladies rares.
Corriger un gène défaillant
La thérapie génique, « ce n’est plus de la science-fiction, résume Nathalie Cartier, co-auteur de cette revue contactée par Pourquoidocteur. Plusieurs essais ont été menés et plus de 300 patients dans le monde en ont bénéficié. » De fait, quelque 1 800 essais cliniques sont en cours à ce jour, selon l’Inserm. L’immense majorité se situe en cancérologie (65 %). Un médicament, suppresseur de tumeur, est même disponible depuis 2004 en Chine, dans le traitement des carcinomes de la tête et du cou.
A peine 1 essai sur 10 s’intéresse au traitement des maladies dites monogéniques (causées par un seul gène), comme celle de Huntington. Une cinquantaine de pathologies rares du système nerveux central correspond à cette définition. Bien que peu fréquentes, elles sont une cible prioritaire car elles sont graves et la plupart ne disposent d'aucun traitement. « Elles représentent des modèles importants pour ces approches innovantes », explique Nathalie Cartier. En effet, un seul gène est déficient, provoquant le manque d’une protéine associée. « L’idée est donc d’apporter cette protéine à l’aide d’un vecteur de thérapie génique », développe la chercheuse de l’Inserm.
Des maladies rares aux plus fréquentes
Les pistes se précisent de plus en plus, toutefois. Les données précliniques, issues de travaux sur des modèles animaux, s’accumulent. Des essais de phase I ou II sont à présent réalisés chez l’homme, dans la leucodystrophie de l’enfant et les maladies lysosomales par exemple. « L’acharnement de Karen Aiach, présidente de Lysogene, a permis de livrer un essai thérapeutique aux résultats encourageants dans la mucopolysaccharidose de type 3 », illustre Nathalie Cartier. Un autre essai, en cours à l'hôpital du Kremlin-Bicêtre et co-dirigé par Nathalie Cartier, tente de traiter des enfants atteints de formes sévères de la leucodystrophie métachromatique.
Le plus souvent, ces essais combinent la phase I et II, destinées à montrer que l’approche n’est pas toxique et à prouver son efficacité. Une manière supplémentaire de gagner du temps dans un secteur où il manque. Car sans traitement, l’espérance de vie peut être très courte. « Beaucoup de progrès ont été accomplis, même si les essais portent sur de petits nombres de patients », estime tout de même Nathalie Cartier.
L’avancée est telle que les spécialistes s’intéressent maintenant à des pathologies neurologiques plus complexes, comme Parkinson ou Alzheimer. Elles sont aussi plus fréquentes. L’impact peut donc être majeur. Car si les syndromes du stockage lysosomal concernent une naissance sur 7 000, Alzheimer touche 850 000 personnes rien qu’en France.
Gêner le mécanisme de la maladie
La stratégie adoptée dans la maladie de Parkinson ne consiste plus à corriger l’activité d’un gène mais à accroître la sécrétion de dopamine à l’aide d’un lentivirus. Les symptômes de cette maladie neurodégénérative sont provoqués par la trop faible concentration de ce neurotransmetteur dans le cerveau. « Les résultats du groupve de Stéphane Palfi, à l'hôpital Henri-Mondor (Créteil) sont encourageants. Il faut maintenant affiner la technologie », salue Nathalie Cartier.
Le chemin vers la thérapie génique d’Alzheimer est plus chaotique. « L’idée est de stopper la mort neuronale et l’accumulation d’amyloïde dans le cerveau, développe la chercheuse biologiste. La stratégie est basée sur la correction des troubles métaboliques du cholestérol dans le cerveau, que nous avons identifiés dans les maladies d'Alzheimer et de Huntington. » Ces essais sont encore en phase pré-clinique. Ils devront notamment montrer que l’accumulation de protéines dans l’organisme n’est pas nocive (voir encadré).
Mais Nathalie Cartier espère parvenir à une première expérimentation chez l’homme d’ici 2019. Elle testera d’abord l’approche sur la maladie de Huntington, où un traitement est nécessaire de manière plus urgente. Cette maladie génétique, qui touche de jeunes adultes, ne dispose d’aucun traitement. Or, l’espérance de vie est de 15 à 20 ans seulement après l’apparition des symptômes.
Un virus peu toxique pour l’organisme
La thérapie génique orientée contre les maladies du système nerveux central s’appuie sur des virus, dont une famille de virus courants : les virus adéno-associés (AAV). « L’AAV est un très bon vecteur, bien toléré et il n’est pas toxique », souligne Nathalie Cartier. La toxicité est justement au cœur des essais pré-cliniques. Les enjeux, il faut le dire, sont considérables. L’adénovirus permet de lever les doutes sur le premier des trois volets critiques. En effet, le système immunitaire ne doit pas réagir contre le vecteur, sans quoi la thérapie risque de ne pas être active. « Le cerveau est un tissu relativement protégé, et il provoque peu de réponse contre le virus, lorsqu'il est administré localement », précise la biologiste de l’Inserm. La neurochirurgie est justement la voie privilégiée d'administration.
Mais l’objectif, à plus long terme, est de parvenir à des méthodes moins invasives, par le développement de vecteurs viraux injectables dans le liquide céphalo-rachidien (par une méthode similaire à la ponction lombaire) ou dans le système sanguin. Ils seront alors capables de franchir la barrière hémato-encéphalique, qui protège le tissu cérébral. Mais les doses nécessaires seront supérieures, et le risque de réponse immunitaire sera plus élevé.
Le dernier aspect crucial de la thérapie génique tient en son cœur : l'expression de la protéine thérapeutique ne doit pas entraîner d’effets indésirables. Dans les maladies rares, l’approche est généralement bien tolérée. « Dans les maladies plus courantes, l’expression accrue d’un gène déjà exprimé ne doit pas être toxique pour les cellules », détaille Nathalie Cartier. Les travaux sur l’animal ont pour but de s’en assurer.