Les données épidémiologiques sur les troubles du comportement alimentaire (TCA), dont l’anorexie et la boulimie sont les représentantes tristement les plus connus font défaut. L’association Autrement, qui aide les patients atteints de troubles du comportement alimentaire, estime à 230 000 le nombre de personnes atteintes d’anorexie mentale en France.
Ces personnes atteintes de TCA (majoritairement de sexe féminin) ont trouvé avec les réseaux sociaux, un outil redoutablement efficace pour communiquer et échanger sur leurs maladies. Provoquant de vives réactions sur leurs potentiels effets prônant les TCA, le foisonnement de ces sites web a même conduit jusqu’à une proposition de loi visant à lutter contre les incitations à la recherche d'une maigreur extrême ou à l'anorexie, en 2008. Le texte, quatre ans après, est toujours en attente d’inscription à l’ordre du jour du Sénat.
Etudier plus spécifiquement la structure, la fonction et l’influence des réseaux sociaux de personnes avec TCA sur leurs comportements alimentaires et leur état de santé, c’est la mission que s’est donné le projet Anamia (pour « ana » et « mia », anorexie et boulimie dans le jargon Internet). Anamia (1) a procédé à une étude sociologique comparative de sujets ana-mia en France et au Royaume-Uni au travers d’une analyse de leurs réseaux sociaux en ligne et hors-ligne. Après trois années de recherche, le projet a présenté ses résultats vendredi 14 décembre lors d’un colloque.
Trois questions avaient été soulevées par le projet, explique Paola Tubalo, qui s’est occupée de la coordination de l’enquête et de l’analyse des résultats : Y a-t-il une sorte de fuite vers l’Internet de ces personnes qui ont du mal à vivre leur vie sociale au quotidien, pour s’échapper d’une réalité vécue comme difficile ? Est-ce que ces personnes cherchent à se faire du mal en allant sur ces sites ? Est-ce que ces comportements signifient un rejet du système de santé ? Les résultats du projet ont réservé quelques « surprises » à l’équipe d’Anamia. D’une façon générale, les données forcent à la nuance, « complexifient » et livrent une image « plus riche » des réseaux sociaux concernant les TCA. En premier lieu, l’idée reçue que les réseaux constituent un refuge à des personnes isolées est démontée.
Ecoutez Paola Tubaro, maitre de conférences à l’Université de Greenwich (Londres), chercheure au CNRS à Paris : « La plupart de leurs relations sociales ne sont pas en ligne, mais dans la vie de tous les jours. »
Concernant les sujets d’échanges et de conversation sur les sites, là aussi, la réalité est un peu plus complexe que l’idée que l’on pourrait s’en faire. « Les personnes atteintes de troubles alimentaires ne veulent pas se sentir seules. Elles se rendent sur les sites pour chercher des informations, mettre un mot sur un mal, se soutenir réciproquement », explique Paola Tubaro. Enfin, les résultats concluent au fait qu’il n’y pas de forme de rejet du système de santé ; au contraire, il y a une demande. « Mention est faite du médecin, de l’infirmière, du psychiatre », précise Paola Tubaro.
Ecoutez Paola Tubaro : « On s’attendait à ce que ce soit plus complexe que ce qu’on imaginait, mais on ne pensait pas qu’il y avait une demande aussi forte envers les services de santé. »
Cette demande exprimée par ces personnes victimes de TCA traduit un besoin de soutien au quotidien. A l’avenir, ces conclusions pourraient être exploitées pour mettre en place de nouveaux outils. Par exemple, « un service sous forme de forum, organisé par des professionnels, qui répondrait à cette exigence », illustre Paola Tubaro.
(1) Piloté par une équipe transdisciplinaire de sociologues, de psychologues sociaux, de philosophes, et d'informaticiens basés en France et au Royaume-Uni, le projet a été financé par l'Agence nationale de la recherche et coordonnée par le l'EHESS, avec le CNRS, l'Institut Mines-Télécom, l'Université de Bretagne occidentale et Aix-Marseille Université.
(*) ANOREXIA, , récit en images d'une jeune anorexique sur les réseaux sociaux