C’est la question que tout usager se pose lorsqu’il ingère une drogue. Jusqu’où aller ? Quelle est la dose qui permettra d’obtenir les effets optimaux, sans générer de réaction négative ? Lorsqu’il teste ses limites, le consommateur craint deux choses : le « badtrip » pour son psychisme, et la surdose pour son corps. C’est un risque qu’il prend, qu’il pense maîtriser. Parfois, pourtant, il se trompe.
Quand on évoque l’overdose, on s’imagine les situations les plus terribles. On pense à la morphine, à l’héroïne, à tous ces opiacés auxquels une poignée plus ou moins importante de consommateurs est dépendante. En France, les cas sont rares. Aux Etats-Unis, au contraire, une épidémie de surdoses aux opioïdes décime la jeunesse ; 28 000 personnes sont mortes en 2014. Cela inquiète, mais rassure aussi : c’est loin de chez nous.
Mais l’overdose n’est pas le lot des injecteurs et des toxicomanes marginaux, loin s’en faut. Son ombre plane sur toutes les substances – alcool, cocaïne, amphétamines… - et menace tous les publics qui les consomment, à des degrés divers et selon des mécanismes variables. Le 31 août se tient la Journée Internationale de prévention des overdoses. Pourquoi Docteur y consacre une série d’articles afin de faire le tour de ce phénomène accidentel mal connu et sous-estimé.
Ca y est. Après des années d’attente, la Naloxone va enfin être délivrée aux usagers de drogues opiacées. L’antidote aux overdoses a reçu le mois dernier le feu vert des autorités sanitaires françaises, qui lui ont délivré une autorisation temporaire d’usage (ATU). Si les programmes fonctionnent bien, chaque consommateur aura à portée de main le remède qui les sauvera d’une surdose.
Pour s’illustrer l’efficacité de la Naloxone, il faut songer à la scène de Pulp Fiction où une injection permet de réanimer Uma Thurman, alias Mia Wallace. Aux Etats-Unis, les usagers se voient distribuer des kits, assortis d’une formation pour utiliser la seringue. Dans ce pays frappé par une épidémie d’overdoses d’opiacés sans précédent, on connaît le mérite du produit. Mais en France, où « seulement » 270 personnes perdent la vie chaque année après une overdose, la question a été mise à l’écart, considérée comme non prioritaire.
Pendant longtemps, la Naloxone n’a donc été disponible que dans le cadre hospitalier, aux urgences. Autant dire qu’il était souvent trop tard pour réanimer les consommateurs surdosés. Dès 2007, toutefois, un groupe de travail de la Direction Générale de la Santé (DGS) planchait sur la question, avec l’objectif de diffuser l’antidote auprès du plus grand nombre d’usagers. Près de dix ans plus tard, les prémices de ce programme vont se mettre en place, avec la délivrance d’un produit sous forme nasale
La Naloxone, comment ça marche ?
Une surdose d’opiacés se traduit par une dépression respiratoire (ralentissement anormal de la fréquence respiratoire), pouvant mener au décès. De fait, les neurones qui contrôlent le rythme respiratoire sont pourvus de récepteurs sensibles aux endomorphines. Une dose trop importante de morphines peut inhiber l’action de ces neurones.
La Naloxone, antagoniste pur et spécifique des morphinomimétiques, permet en quelques secondes (de 20 secondes à deux minutes, un peu plus pour la voie nasale) d’inverser cet effet. Elle se fixe sur les récepteurs opioïdes et déplace la morphine de ses sites récepteurs afin de stopper son action.
La Naloxone n’a d’effet que si elle est administrée chez un sujet ayant pris de la morphine. Administrée seule, elle ne possède pas de propriétés pharmacologiques propres.
"Alignement des étoiles"
Pour autoriser la diffusion de la Naloxone en France, « il fallait l’alignement des étoiles », analyse aujourd’hui le Pr William Lowenstein, à la tête de ce groupe à la DGS baptisé T2RA (1), et président de SOS Addictions.
Dans cette heureuse configuration, on trouve d’abord Benoît Vallet, directeur général de la Santé, anesthésiste-réanimateur de profession, « qui connaît la valeur d’une vie ». Il fallait aussi le soutien de la Mission de lutte contre les drogues (Mildeca)(2), résolument engagée dans une démarche de réduction des risques, ce qui n’était pas forcément le cas sous les précédentes mandatures. Enfin, l’Agence nationale de sécurité du Médicament (ANSM) devait s’engager sur le sujet et bétonner le dossier, ce qu’elle a fait.
Pendant des mois, le groupe de travail a donc passé en revue différents scenarii, avec l’objectif de faire de la Naloxone un outil de « santé communautaire ». Parmi les pistes à l’étude, une extension de l’AMM (autorisation de mise sur le marché) du produit injectable, mais administrativement, cela s’est avéré trop compliqué.
L’idée d’un conditionnement sous forme de spray nasal s’est donc imposée. Plus facile à manipuler ; plus rassurant, pour les autorités, qu’une piqûre entre les mains des usagers. « Mais les dossiers de candidature n’étaient pas légion, se rappelle William Lowenstein. En fait, seul un laboratoire s’est porté candidat ».
Diffusion encore limitée
Une fois le conditionnement défini, il fallait donc fixer les conditions de prescription et de délivrance, avec toujours cet objectif de diffusion massive auprès des usagers. Et c’est là que le dossier français a pris un étonnant virage. Selon nos informations, les derniers arbitrages laissaient penser que le médicament serait disponible dans les pharmacies de ville et que tous les professionnels des addictions pourraient le prescrire. Au dernier moment, le ministère de la Santé a freiné des quatre fers et proposé un modèle bien plus restreint.
Seules les structures de soins en addictologie, les Csapa (3), qui disposent d’une pharmacie hospitalière pourront délivrer la Naloxone. Selon des estimations à la louche, cela représenterait un tiers des centres. « A Paris, ça ne posera pas de problème, nous sommes nombreux, souligne Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction. Mais en province, l’usager fera-t-il des kilomètres pour se procurer l’antidote ? Pas sûr… »
Comment expliquer cette prudence du ministère ? Est-ce le prix qui l’a rebuté ? Une boîte de Naloxone, pour deux usages, coûte une centaine d’euros, mais le montant est toujours en négociation. Les autorités pourraient craindre une envolée des dépenses si tous les Csapa s’en équipaient. Outre-Atlantique, la problématique des coûts prend d’ailleurs de l’ampleur : le prix de la Naloxone n’a cessé d’augmenter, dénoncent les associations américaines. L’accès au médicament est de moins en moins garanti.
De son côté, le ministère de la Santé se défend d’avoir voulu restreindre l’usage et avance l’argument de la prudence, le Nalscue (forme nasale de la Naloxone) ne disposant pas encore d’une AMM garantissant son efficacité et sa sûreté. Dans le cadre de l’ATU, le médicament est donc soumis « à des modalités de prescription, de dispensation, d’utilisation et de suivi particuliers », fait savoir son service de presse. Lorsque le laboratoire aura déposé une demande d’AMM, alors, « le médicament pourra être délivré en pharmacie d’officine », explique le ministère.
Système D
Que de précautions pour adopter un médicament scientifiquement réputé pour sa capacité à réduire la mortalité... Difficile de savoir, par ailleurs, le poids qu’a pu avoir l’éternel argument idéologique autour de la Naloxone, qui voudrait que l’on encourage les usagers à surconsommer des opiacés en toute tranquillité, loin de la menace d’une overdose. « A peu près aussi logique que de dire que la ceinture de sécurité favorise les comportements à risque sur les routes ! », renchérit William Lowenstein.
De son côté, l’ANSM jure que l’argument n’a pas pesé dans les débats. « On entend cela chez des personnes qui ne connaissent pas le dossier, mais les experts savent que c’est faux, explique Nathalie Richard, responsable du groupe qui a travaillé au sein de l’Agence sur la Naloxone. L’ANSM, qui promet également qu’il s’agit là de la première étape avant l’élargissement des conditions de prescriptions et de délivrance en officine. « N’oublions pas que nous sommes dans le cadre d’un produit qui n’a pas d’AMM ; les données d’efficacité et de sûreté sont celles du laboratoire, ce ne sont pas les nôtres ». Avancer prudemment pour mieux évaluer, en somme. Avant de franchir le vrai pas.
Cette seconde étape, on l’attend avec impatience dans le milieu de l’addictologie. Problème : les nouveaux arbitrages pourraient survenir en pleine élection présidentielle. Le caractère prioritaire du dossier risque d’être tout relatif….
D’ici là, les Csapa vont s’organiser. Un système D pourrait voir le jour, permettant à ceux qui ne sont pas affiliés à une pharmacie d’hôpital et aux Caarud (4) de distribuer de la Naloxone. « Un peu comme quand la primo-prescription de méthadone était réservée aux Csapa hospitaliers », se rappelle William Lowenstein. Les médecins exerçant dans les derniers se rendaient alors dans les centres non affiliés aux hôpitaux pour pouvoir prescrire le substitut.
« Quand on parle d’addictions, il y a toujours des choses qui échappent à la logique médicale, souligne encore le psychiatre. On sort du factuel pour rentrer dans des considérations plus politiques, plus moralistes ». La Naloxone a eu beau faire ses preuves sur le plan scientifique, il faut encore en convaincre des autorités souvent frileuses sur les questions d’usage de drogues.
(1)T2RA : Traitements et Réduction des Risques en Addictologie
(2) Mildeca : Mission Interministérielle de Lutte contre les Conduites Addictives
(3) Csapa: Centre de Soins, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie
(4)Caarud: Centres d'Accueil et d'Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues