« La France, c'est un tout : des angoisses et de l'exaspération, mais aussi de l'énergie et la volonté d'aller de l'avant ! » Avec ce leitmotiv posté sur son compte Twitter, Emmanuel Macron en a heurté plus d’un pendant ses deux ans au ministère de l’Économie. Mais alors qu’il vient de démissionner du gouvernement de François Hollande, l’électron libre Macron pose en fait plus de questions qu’il n'y répond.
Quel est son programme politique ? Va-t-il se présenter à la présidentielle de 2017 ? Nul ne le sait. Il lui faudra pourtant convaincre dans les prochains mois. Y compris le monde de la santé où il s’est déjà fait quelques inimitiés. Petit retour.
Médicaments en grandes surfaces
Août 2007, Emmanuel Macron est nommé rapporteur adjoint de la Commission pour la libération de la croissance française (« commission Attali »). Commission dont il sera même nommé membre par décret en mars 2010. Dans ces missions, il a notamment travaillé sur la pharmacie. En recommandant par exemple la vente de médicaments sans ordonnance (OTC) en grandes surfaces. Les sirènes de Michel-Édouard Leclerc étaient-elles trop tentantes ?
Apparemment non. Car en 2014, sur France Inter, Emmanuel Macron tranche en faveur du monopole des pharmaciens. « On ne mettra pas des médicaments (...) en grandes surfaces (...) parce qu'aujourd'hui, on ne manque pas de pharmacies, les prix ne sont pas excessifs (...) et ensuite parce qu'il y a une sensibilité forte que j'ai pu mesurer dans mes contacts sur la sécurité sanitaire », avait-il déclaré. Et ce dernier d'ajouter que « l'idée que des médicaments, même non prescrits, puissent être vendus en supermarché, c'est un peu une atteinte au modèle de société auquel les Français tiennent. »
« Il y a eu une écoute, nous gardons plutôt un aspect positif de son passage au ministère de l’Économie », raconte Philippe Besset, vice-président du premier syndicat de pharmaciens, la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France (FSPF).
Autre preuve de cette qualité d’écoute, l'ex-ministre a finalement renoncé à ce que des investisseurs extérieurs puissent entrer dans le capital des pharmacies, et modifient ainsi les règles d’installation sur le territoire. Mieux encore, il a à la place intégré les pharmaciens salariés au sein du capital des officines et mis en oeuvre une meilleure organisation des pharmacies. Comment ? « Avec une suppression de certaines normes obsolètes, confie Philippe Besset. « Un toilettage plus que nécessaire », selon lui.
Enfin, Emmanuel Macron était même prêt à aller plus loin dans la défense du statut des pharmaciens puisqu’il était favorable à une extension de leurs missions. Il s'est prononcé à ce sujet pour la vaccination en officine par les pharmaciens. Un projet abandonné dans la loi Santé de Marisol Touraine du fait de la forte mobilisation des médecins libéraux qui y restent totalement défavorables.
La colère des ophtalmologues
L’opération séduction d’Emmanuel Macron envers les acteurs de la santé s’est-elle élargie au-delà des pharmaciens ? Pas vraiment. Dans sa loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques dite « Loi Macron », un amendement a fait bondir les ophtalmologues. Pour rappel, il rendait l’ordonnance pour les lunettes facultative et supprimait la durée de validité de cette dernière.
Pendant des mois, ces médecins spécialistes ont été vent debout contre ce coup de pouce aux opticiens, « au détriment de la santé visuelle », selon eux. La suppression de l’obligation d’ordonnance lors de l’achat de lunettes ouvrait, c’est vrai, la voie, pour les opticiens, à la prescription-vente de dispositifs oculaires à des enfants de moins de 16 ans sans que ces derniers n’aient jamais vu de médecin.
Interrogé par Pourquoidocteur, Dr Thierry Bour, président du syndicat des ophtalmologues (SNOF), s’inquiétait aussi pour la santé oculaire des adultes. « Avec le projet de Loi Macron, les Français n’auraient plus bénéficié du dépistage et de la prévention sanitaire des affections oculaires garantis par les rendez-vous de contrôle chez l’ophtalmologiste ».
Le spécialiste rappelle que 80 % des glaucomes traités sont dépistés à l’occasion de ces visites. En outre, « les Français se seraient retrouvés directement face à des opticiens-lunettiers, sans formation médicale, qui auraient cumulé les fonctions de prescription et de vente d’équipements médicaux, ce qui aurait posé de graves problèmes éthiques et sanitaires – en particulier pour les patients jeunes ou fragiles », estime Thierry Bour.
Pour ce praticien de Metz (Moselle), « jamais l’ophtalmologie n’avait connu attaque aussi frontale dans toute l’histoire de la spécialité ». Pour stimuler l’économie, Emmanuel Macron serait donc prêt à aller très loin.
Le repos dominical, une rengaine à effacer
Jusqu’à mettre fin au sacro-saint repos dominical. La loi « Macron » a en effet élargi les possibilités d’ouverture des commerces le dimanche dans les zones où cela crée de l’activité (zones touristiques internationales, zones commerciales, etc). Il faut aussi souligner qu’elle a rendu le système plus juste par l’obligation faite aux entreprises concernées de négocier des contreparties pour les salariés travaillant le dimanche, notamment sous forme de compensation salariale.
Mais si on se place d’un point de vue strictement sanitaire, cette mesure peut être contestable. Même si elle n’a pas d’effet sur le plan des rythmes biologiques, elle aurait un impact négatif sur la vie sociale. Une étude canadienne a récemment démontré que les travailleurs du dimanche sont ceux dont le temps passé avec leurs enfants pâtit le plus de cette organisation. Il semblerait que les parents ne rattrapent en fait pas le temps perdu les autres jours de la semaine. D'après d’autres études, le dimanche serait aussi un jour où se fait souvent le lien social, une très bonne protection contre le stress, affirment de nombreux experts.
"Laisser des parts de l’économie respirer"
En retraçant son parcours, on s’aperçoit qu’Emmanuel Macron a souvent fait fi des considérations sanitaires. En se souciant très peu de la santé des Français. Comme lors de l’épisode relatif à la publicité sur l’alcool. Invité d’Europe 1 en novembre 2015, il indiquait qu'il faut « laisser des parts de l’économie respirer ».
Conséquence, Emmanuel Macron réussit à faire adopter un amendement assouplissant la promotion de l'alcool. Le pire, c’est que cela s’est fait dans le cadre de la loi Santé. Ce détricotage de la loi Evin garantit désormais que les références à des régions de production, à des indications géographiques ou au patrimoine culturel liés à des boissons alcooliques sont protégées « et ne sont pas considérées comme des publicités ». Les acteurs de la lutte contre les addictions s’en souviennent encore. « On l’a vu intervenir dans une logique économique alors que le débat sur l’assouplissement de la loi Evin était clairement un débat de santé », se souvient Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction.
Ce psychologue clinicien, exerçant dans un Centre de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA), résume la pensée d’Emmanuel Macron ainsi : « Il pense qu’un certain nombre de règles et de points des pratiques professionnelles sont vécus comme un frein au commerce. Il s’est donc emparé de sujets de santé dans une logique purement économique », ajoute-t-il.
D’où son intérêt pour le marché du vin et de l’alcool… Une posture qui lui a valu de nombreux conflits au sein même du gouvernement. Avec la ministre de la Santé, Marisol Touraine, notamment. La locataire de l’avenue Duquesne (Paris) était totalement opposée à l’autorisation de l'information œnologique. Mais elle était bien seule puisque François Hollande en personne soutenait le lobby des producteurs de vin. Maintenant qu’il a démissionné du ministère de l’Économie, le monde de la Santé attend de voir si Emmanuel Macron aura d’autres priorités que l’économie.
La médecine du futur selon Emmanuel Macron
Durant ses deux ans au gouvernement, Emmanuel Macron a donné à quelques reprises sa vision de la médecine, souvent avec des termes économiques. Et c’est donc logiquement sur la médecine du futur qu’il s’est exprimé à la dernière Convention on Health Analysis and Management (CHAM) en septembre dernier.
Idem lors de la journée start up innovantes du SNITEM (1), organisée le 31 mars, où Emmanuel Macron a abordé le monde de la santé à travers ses facteurs de richesse et de plus-value : « Le rôle de l’Etat est de vous soutenir, de vous accompagner, de vous simplifier la vie drastiquement », citant le soutien que constituent les dispositifs d’appui à la recherche et au développement (Crédit d’impôt recherche, Crédit d’impôt innovation, Concours mondial d’innovation, Fonds unique interministériel), ou l’accompagnement via les prises de participation en fonds propres (par Bpifrance notamment).
Concernant les délais d’autorisation de mise sur le marché et de tarification, l'ex-ministre disait : « Nous devons réduire les délais, qui ne sont plus acceptables. Nous allons prendre toutes les mesures en termes d’organisation humaine, d’investissement sur le numérique, pour que les délais soient réduits et que notre réactivité soit à la hauteur de vos innovations et du rythme de votre secteur ». Il avait ainsi annoncé que des effectifs supplémentaires seraient mis à disposition du Comité économique des produits de santé (CEPS) « dans les prochaines semaines » pour accélérer le traitement des dossiers de tarification.
Source : Canal CHAM (YouTube)
(1) Syndicat National de l'Industrie des Technologies Médicales