C’est la première fois qu’un congrès international se tient pour discuter des risques liés aux résidus de médicaments dans l'environnement. Pendant deux jours, à Paris, près de 300 scientifiques se sont réunis afin de débattre de ce sujet sensible, entouré d’importantes zones d’ombre en raison d’une connaissance encore lacunaire.
« Il faut traiter le problème avec intelligence, sans affoler ni nier, a insisté ce vendredi Yves Levi, biologiste et chimiste, responsable du groupe « santé publique – environnement » à l’Université Paris Sud. Entre ceux qui disent ‘circulez, il n’y a rien à voir’ et les autres qui expliquent qu’on va tous mourir… Il y a une autre voie à trouver ».
Incertitudes
Cette voie, c’est d’abord celle de la science. Que sait-on des concentrations, des expositions, des risques ? Lors de ce congrès, les chercheurs ont fait le point sur les travaux et la connaissance accumulés au gré des années, depuis la première mise en évidence, en 1976, de résidus médicamenteux dans l’eau aux Etats-Unis. Avec pour objectif d’orienter la réponse des pouvoirs publics : Ségolène Royal a ainsi ouvert la deuxième journée de ce congrès en annonçant le lancement du second plan national micropolluants 2016-2021, qui intègrera cette dimension.
Mais non sans difficultés. Si l’on sait que les eaux traitées, les eaux potables, les eaux souterraines, les eaux des rivières – bref, tout le milieu aquatique - sont bel et bien contaminées par les résidus médicamenteux, on ignore encore l’impact sanitaire et écologique sur les populations humaines, animales et microbiennes Et pour cause : ces espèces sont affectées par de multiples polluants dans leur environnement. En cela, il est particulièrement difficile de déterminer le rôle joué par l’eau seule.
Pour autant, « certains médicaments sont présents dans l’environnement à des concentrations parfois identiques à celles de certains autres polluants jugés plus classiques, comme les produits phytosanitaire ou les hydrocarbures, avec des conséquences sanitaires et environnementales dont la gravité n’est pas encore perçue à sa juste valeur », souligne l’Académie de pharmacie, organisatrice du congrès, dans un communiqué.
En France, un impact sanitaire limité
A Paris, les scientifiques se sont toutefois montrés rassurants sur l’impact sanitaire. « Les concentrations enregistrées dans les pays riches qui disposent d’usines d’épuration sont très faibles, précise Yves Levi. Le risque est actuellement considéré comme négligeable, mais il y a un gros volet d'incertitudes autour de cela ».
Parmi les molécules détectées dans les eaux, on retrouve à la fois celles administrées aux animaux dans le cadre agricole, et celles que l’homme ingère pour se soigner – antidépresseurs, antibiotiques, antiépileptiques, anti-inflammatoires… Des anticancéreux ont aussi été retrouvés, ce qui lève plusieurs inquiétudes, ces traitements étant conçus pour tuer les cellules.
Les sources de pollution, elles, sont multiples. Il peut s’agir de déchets industriels (rejets aqueux des fabricants de médicaments) ou de déchets hospitaliers (eaux résiduaires des établissements de soins). Le plus gros de la pollution semble être toutefois imputable aux élevages agricoles et aux populations humaines, qui excrètent les molécules que leur organisme n’a pas entièrement métabolisé.
Ainsi, les rejets et les boues des stations d’épuration urbaines ont un fort potentiel polluant, étant donné que les traitements classiques des eaux ont été conçus à un moment où il fallait surtout se débarrasser des bactéries liées aux matières fécales. Les produits et les filtres utilisés laissent ainsi passer une partie des résidus. « Les technologies ne permettront jamais de filtrer à 100 %, indique Klaus Kümmerer, chercheurs à l’Univeristé Leuphana (Allemagne).
Transparence des données
Comment se protéger de cette exposition aux contours très flous ? La question reste entière, alors qu’à nouveau, les sources de contamination sont multiples – bien plus qu’on ne pourrait l’imaginer. « Si une personne prend un médicament et va uriner en laissant quelques gouttes sur la cuvette, la personne d’après qui s’assoit dessus peut être exposée aux résidus », souligne Yves Levi.
On voit donc à quel point il est difficile d’évaluer les niveaux d’exposition et les risques. « Il s’agit d’une problématique globale, à l’image du réchauffement climatique, explique Laure Souliac, directrice de l’eau et de la biodiversité au ministère de l’Environnement. Il nous faudrait un GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) des médicaments dans l’environnements pour faire régulièrement le bilan ».
Mais encore faut-il avoir accès aux données. Or, les rares informations sur les métabolites (composé intermédiaire, molécule métabolisée) restent inaccessibles pour bien des chercheurs, qui n’ont pas les moyens de payer les entreprises privées qui les recueillent. « Les métabolites, en général beaucoup plus hydrophiles que les molécules-mères et plus difficiles à extraire, sont très peu étudiées, avec vraisemblablement une sous-estimation de l’évaluation des quantité présentes dans les eaux », précise l’Académie.
Ségolène Royal a d’ailleurs appelé à la libération de ces données et à une plus grande transparence autour d’elles. « Aucune base de données fiable n'existe à ce jour sur les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des médicaments, a remarqué la ministre. Une centralisation de ces données permettrait de prioriser de manière plus efficace les molécules quant à leur risque de se retrouver dans les eaux ou à dépasser des seuils ».