C’est un peu la terre d’aubaine des fumeurs, le paradis fiscal du clopeur. La Corse, cette île d’exception où le tabac coûte près de 30 % moins cher que dans le reste de la France… mais peut-être plus pour longtemps.
La Cour des Comptes a publié ce lundi un rapport pointant les « régimes fiscaux dérogatoires » de l'île de Beauté. Un document quelque peu sensible, qui dénonce certains privilèges fiscaux décrits comme des anomalies. Il en va ainsi de la fiscalité qui pèse sur le tabac.
« Au moment de l'adoption des directives européennes concernant le rapprochement des accises (taxes, ndlr) communautaires en 1992, la France avait été autorisée à maintenir une fiscalité différenciée sur les tabacs mis à la consommation en Corse », écrivent les sages de la rue Cambon. Cette faveur devait progressivement s’effacer jusqu’à disparaître complètement en 2009 ; il n’en a rien été. « La Cour évalue la perte de recettes fiscales à 27 millions d’euros par an », peut-on lire.
Pour certains médecins, c’est un autre calcul qui s’impose ici. Sur Twitter, le pneumologue Bertrand Dautzenberg renchérit ainsi : « La fiscalité du tabac protège du cancer du poumon. La preuve en Corse : -25 % de taxe, +25 % de cancers du poumon ».
Cancers du poumon
Si aucune étude ne permet d’établir ce lien, il est toutefois possible de s’interroger. Selon l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Corse, la prévalence du cancer du poumon et la mortalité liée à cette pathologie sont particulièrement élevées sur l’île.
En effet, la région présente une surmortalité par cancer du poumon de 26 % (25 % chez les hommes et 22 % chez les femmes) par rapport à la moyenne française, indique l’ARS. Chez l’homme, la consommation tabagique semble être à la baisse, à l’image du reste du pays. « Chez les femmes au contraire, une augmentation considérable de l’incidence (+415 % en Corse) a été observée entre 1980 et 2005 », précise l’Agence.
Ainsi, la prévalence du cancer du poumon chez la femme se rapproche de celle de l’homme. La région corse « présente une sur-incidence du cancer du poumon de 27 % chez les femmes », par rapport au Continent, peut-on encore liresur le site de l’ARS.
« Le lien de causalité n’est pas établi, certes, mais toutes les études montrent qu’augmenter la fiscalité sur le tabac permet de réduire la consommation, insiste Bertrand Dautzenberg. Par ailleurs, on ne peut plus nier que le tabagisme provoque des cancers du poumon. Donc on peut aisément imaginer que le fait de ne pas augmenter les taxes a maintenu des taux de consommation élevés, et donc, de cancers du poumon ».
« Un droit de mourir au rabais »
D’autres facteurs ont toutefois pu influer sur la prévalence de ce cancer, comme la présence d’amiante. Par ailleurs, c’est dans le Nord-Pas-de-Calais que l’on observe les taux les plus élevés de prévalence du cancer du poumon (+ 40 % par rapport à la moyenne française), alors que la fiscalité y est la même que dans le reste du pays.
Il n’empêche. Pour Bertrand Dautzenberg, les faibles taxes corses sur les produits du tabac constituent « un droit de mourir au rabais ». Pour la Cour des Comptes, il s’agit d’un privilège indu et illégal. « La prochaine loi de finances doit être l'occasion de mettre en conformité la pratique avec le droit communautaire pour parvenir à un alignement complet au plus tard au 1er janvier 2017 », écrivent les rapporteurs. Et ce, quelques soient les raisons, économiques ou sanitaires, qui motivent les décideurs.
Alcool : l’exception corse
L’île jouit aussi d’une faible taxation sur l’alcool, épinglée par la Cour des Comptes. Les vins produits et consommés en Corse ne subissent aucune TVA ni droits de circulation. « Le taux légal de la TVA sur les vins étant de 20 %, la Cour évalue à 49,5 millions d’euros par an le montant de l'impôt éludé, écrivent les rapporteurs. Cette situation méconnaît le principe général d'égalité devant l'impôt et contrevient à la réglementation européenne sur la TVA. Il devrait y être mis un terme.
Par ailleurs, le privilège des bouilleurs de cru (personne habilitée à produire sa propre eau-de-vie) n’a pas été aboli en Corse. Il est applicable sans limitation de volume d’alcool, alors que « depuis 1923 et jusqu'à sa disparition, le privilège des bouilleurs de cru en France continentale était limité à un droit de distillation de 10 litres d'alcool pur par an ».