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Trafic d’organes

Egypte : les migrants harcelés pour donner leur rein

Par Marion Guérin

Au Caire, les prostituées sont utilisées pour convaincre les migrants soudanais de vendre leur rein, selon une étude qui révèle un vaste trafic d’organes dans la ville.

Carmelo Imbesi/AP/SIPA

Ils débarquent au Caire et ils n’ont rien, si ce n’est leur intégrité physique. Mais celle-ci vaut de l’or… En Egypte, les migrants soudanais sont devenus la proie des trafiquants d’organes. Une étude menée dans la capitale et publiée par la revue British Journal of Criminology révèle les moyens utilisés par les trafiquants pour convaincre ces réfugiés en situation précaire de faire commerce de leur rein, avec la bienveillance des hôpitaux de la ville.

Pour décrire cet effroyable trafic, les auteurs ont réalisé entre mai et juin 2014 une série d’interrogatoires approfondis auprès de 27 personnes – 13 personnes qui ont vendu leur rein, quatre « courtiers » qui approchent ces réfugiés, trois professionnels de santé et sept membres d’ONG. Tous les « donneurs » et les courtiers étaient Soudanais.

Harcèlement 

L’étude montre en effet qu’une fois arrivés au Caire, les migrants se retrouvent plongés dans une situation de vulnérabilité telle que le fait de devenir « courtier » ou de revendre son rein apparaît comme une issue aisément envisageable. Les « donneurs » font l’objet de sollicitations qui s'apparentent à du harcèlement, découvre-t-on dans le rapport.

« Ils ne vous laissent pas le temps de réfléchir à la situation, explique Hiba, mère de deux enfants, qui s’est fait poursuivre par les courtiers pendant deux mois avant de finalement accepter de vendre son rein. Ils passent leur temps à vous demander, à vous rassurer. Ils disent que tout ira bien, que c’est bien pour vous et pour votre famille. Ils m’ont présentée à un homme qui avait déjà vendu son rein. Ils voulaient que je constate qu’il était heureux. Il a dit qu’il allait bien. Mais il n’avait pas l’air bien du tout ».

Les personnes interrogées ont vendu leur rein pour une somme comprise entre 30 000 Livres égyptiennes (LE) (3000 euros) et 200 000 LE (20 100 euros). Une différence importante, qui suggère que les Soudanais visés, notamment les nouveaux arrivés, connaissent mal les réalités mercantiles et sont susceptibles de se faire exploiter, note le rapport.

Consentement

Si l’échange ne semble pas se faire sous la contrainte physique, les auteurs notent néanmoins que le consentement éclairé de ces personnes semble parfois très limité. A partir du moment où la promesse d’une vente d’organe est formulée, il devient en effet impossible de se rétracter.

Une femme relate ainsi qu’une fois à l’hôpital, elle a exprimé son refus car l’offre ne correspondait plus à ce qui avait été négocié, et elle craignait que les rumeurs selon lesquelles les médecins prélevaient les deux reins ne soient vraies. « Ils n’ont pas voulu me laisser partir. Le Dr Hakim avait mon passeport. Ils m’ont enfermée dans la pièce où ils opèrent et ont placé des gardes devant. Le médecin m’a donné un médicament. Je ne me souviens plus vraiment de ce qu’il s’est passé par la suite. Je suis restée quatre jours. Le courtier m’a donné 40 000 LE et m’a demandé de partir ».

Les prostituées pour « adoucir l’accord »

Si la moitié des donneurs interrogés dans cette enquête sont des femmes, la majorité des migrants soudanais au Caire sont des hommes. Or, pour faciliter leur consentement, pour « adoucir l’accord » (« sweeten the deal ») les courtiers ont recours aux réseaux locaux de prostitution.

« Parfois, je reçois un appel et je me rends sur place pour aider les gens à s’accorder sur le prix, raconte Kariem, un courtier. Cela peut être difficile d’aboutir à un accord. Alors je leur offre quelque chose de plus… Il y a en certains qui vont dans les clubs. Je sais ce qu’ils veulent. Ils veulent vivre une vie agréable, ils veulent expérimenter ce qu’ils voient [les travailleuses du sexe]… »

« Kariem, qui travaillait à l’origine en temps que proxénète, a eu recours aux services de travailleuses du sexe pour influencer la négociation des frais, tant pour les donneurs que pour les acheteurs, notent les rapporteurs. Une nuit avec une travailleuse du sexe était offerte pour inciter à la vente ».

« Après l’opération, les donneurs sont emmenés dans un appartement pour qu’ils se rétablissent pendant plusieurs semaines, poursuit Kariem. (…). Une personne leur est envoyée pour leur faire à manger et des femmes viennent pour qu’ils se sentent bien ».

Les destinataires de ce trafic sordide sont bien entendu les plus riches. Ils viennent d’Arabie Saoudite ou d’Europe pour se faire transplanter dans les centres égyptiens. Kariem se souvient ainsi d'une négociation. « Il y avait une fille qui venait de France [qui avait besoin d’un rein]. Son père m’a contacté. Je lui ai fait économiser beaucoup d’argent ».