Que dire à un jeune qui fume, qui veut fumer, qui tente d’arrêter ou pense à diminuer ? Comment s’adresser à cette population qui a grandi dans un environnement saturé de tabac, à cette génération dont on dit qu’elle n’entend rien quand il s’agit de sa santé ? Les réponses à ces questions se trouvent centralisées dans un « kit » réalisé par Fédération Addiction, présenté ce mardi à la presse.
Dans un manuel d’une centaine de pages financé par l’Institut National du Cancer (INCa), l’association prodigue des conseils à destination des professionnels de santé spécialisés ou pas dans l’addiction, pour orienter ces jeunes exposés au tabagisme.
« On verra plus tard »
« Il y a autour du tabac une sorte de droit de continuer, un réflexe qui veut que l’on se dise : "on verra plus tard", explique Jean-Pierre Couteron, président de Fédération Addiction. Le cannabis est perçu comme un produit qui empêche de passer le bac ; l’alcool, comme une substance susceptible de générer des accidents. Les parents et les professionnels se concentrent sur ces produits et ont tendance à faire du tabac une priorité secondaire ».
En France, 26 % des jeunes de 16 ans ont fumé dans les douze derniers jours, selon les résultats de la dernière enquête ESPAD. Les professionnels de santé ont un rôle-clé à jouer pour enrayer cette consommation, mais les moyens pour y parvenir sont souvent complexes.
« Pour nouer l’alliance thérapeutique, certains professionnels continuent de fumer une cigarette avec le jeune. Comme une sorte de traditionnel moment convivial », explique Jean-Pierre Couteron. Une habitude pourtant néfaste quand il s’agit de délivrer un message préventif auprès du jeune en question. Le manuel a ainsi vocation à fournir une sorte de guide de bonnes pratiques, de méthodologie éprouvée sur le terrain.
« Ne pas le casser »
De là à dire qu’un discours psychorigide et moralisateur s’impose, il n’y a qu’un pas à ne surtout pas franchir. En matière de tabagisme, une démarche de réduction des risques existe, y compris si elle est entreprise par un jeune. Ainsi, bien des adolescents fumeurs tentent de limiter les risques et les dommages associés à leur consommation – en diminuant le nombre de cigarettes, en retardant la première de la journée, mais aussi en recherchant d’autres modes de consommation moins toxiques.
« Le vapotage fait par exemple partie de cette recherche de réduction des risques, souligne Jean-Pierre Couteron. Tout jeune qui s’engage dans une telle démarche doit être accompagné, conseillé, informé, mais surtout pas cassé. Il faut lui dire que c’est la bonne direction, l’aider pour aller plus loin encore. Expliquer que c’est insuffisant et inutile, c’est contre-productif ».
Ainsi, mieux vaut prodiguer une information ciblée à ces jeunes pour qu’ils s’approprient un comportement responsable et s’engagent, à leur manière, dans la bonne voie – ou dans la moins pire. « Les jeunes sont capables de faire de la réduction des risques. Ils le font avec leurs croyances, avec des moyens bidouillés ». Parfois, ils se trompent. Ils pensent qu’une « light » est moins nocive qu’une cigarette classique, qu'une chicha s'apparente davantage à un bonbon à fumer qu'à un produit du tabac. C’est sur ce type de connaissances fausses qu’il faut jouer.
« Garçons virils, filles libérées »
C’est aussi sur son environnement qu’il convient de faire réfléchir la jeunesse. Sur les stratégies marketing de l’industrie du tabac ; sur le diktat social du tabagisme, particulièrement prégnant chez les jeunes, qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main.
« La cigarette permet de se positionner socialement, comme une garçon viril, une fille libérée, relève Jean-Pierre Couteron. Tout à l’heure, j’avais en consultation un jeune qui avait des tremolos dans la voix lorsqu’il me parlais de cannabis. Si je lui avais expliqué que c’était une vision stupide et absurde, il serait parti en courant. Il faut être compréhensif vis-à-vis des représentations que développent les jeunes avec les produits ».
Jeunes, donc, mais pas aussi insouciants que l’on veut bien les décrire. Le « kit » de Fédération Addiction contient également une brochure pour les jeunes (« Et le tabac, t’en es où ? »), ainsi qu’une affiche à accrocher dans les lieux appropriés (CJC, infirmerie scolaire…). Objectif : susciter en eux un questionnement sur leur consommation, et, éventuellement, les emmener sur le chemin des Consultations Jeunes Consommateurs, ces espaces dédiés où les spécialistes enseignent aux jeunes l’art de se responsabiliser vis-à-vis des produits.