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Enquête ESPAD

Cannabis : un usage en hausse chez les jeunes Françaises

Par Marion Guérin

Les adolescentes sont plus nombreuses à consommer du cannabis. Une tendance de fond que confirme la dernière enquête ESPAD.

SIPANY/SIPA

Il fut un temps où en matière de drogues, les comportements étaient très genrés. Quand l’homme s’enivrait la clope au bec sans que cela ne choque personne, la femme, elle, était invitée à rester sobre car une fille qui boit et qui fume, ce n’est pas joli. L’égalité entre les sexes a gagné du terrain, et à présent, hommes et femmes consomment des substances et se détruisent de la même manière.

Ainsi, le tabagisme a explosé chez les femmes – et avec lui, les cancers du poumon. La dernière enquête ESPAD sur les consommations des jeunes de 15-16 ans le confirme : l’usage récent de tabac (au moins une fois au cours des 30 derniers jours) concerne 26 % des adolescents français, avec une prédominance féminine (28 % contre 24 %). Quant à la consommation d’alcool et aux alcoolisations massives ponctuelles (API), elles restent encore majoritairement masculines, mais l’écart tend à s’estomper.
 

Les hommes testent, les femmes suivent

Il en va de même pour le cannabis. L’enquête ESPAD montre en effet que l’expérimentation, l’usage récent et l’usage régulier sont à la hausse chez les jeunes Françaises. Une tendance de fond que l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies) observe depuis plusieurs années.

« En 2015, l’écart entre la consommation récente des garçons et des filles était de trois points ; il était de six-sept points il y a quelques années, explique Olivier Le Nézet, chargé d’études à l’OFDT. Quand le cannabis a commencé à se diffuser dans la société, ce sont plutôt les hommes qui s’en sont emparés. On observe cela pour tous les produits : dans l’univers des substances illicites, les hommes sont plus expérimentateurs ». Puis les femmes leur emboîtent le pas.
 

Paiement en nature

Au-delà de l’égalité des sexes qui s’installe dans la société, plusieurs facteurs peuvent expliquer la hausse de consommation de cannabis enregistrée chez les jeunes filles. L’accès à la substance, de plus en plus large et moins contraignant, a ainsi pu influer sur les usages.

« Il y a quelques années, il était très courant que l’on demande aux filles autre chose que de l’argent au moment de l’échange, relate Olivier Phan, addictologue, responsable d’une Consultation Jeunes Consommateurs (CJC) à Paris. Désormais, il n’est pas rare de voir des femmes dealer. Globalement, les demandes de paiement en nature sont devenues plus marginales pour le cannabis. On les retrouve en revanche pour des drogues plus fortes, comme la cocaïne ».

Moins de joints, plus de cadeaux

Les usages restent malgré tout marqués par des spécificités sexuées. Les jeunes filles consomment en effet moins de cannabis que les hommes. « Plus le niveau d’usage est élevé, plus l’écart se creuse : les consommateurs réguliers sont deux fois plus nombreux chez les garçons », confirme Olivier Le Nézet. Au lycée, 10 % des garçons fument régulièrement du cannabis, contre 5 % pour les filles.

Les moyens de s’en procurer semblent aussi se différencier. L’OFDT en distingue trois : l’achat, le don ou le partage, l’autoculture. « Normalement, plus l’usage est élevé, plus l’achat et l’autoculture augmentent, poursuit Olivier Le Nézet. Or, à consommation égale, les filles sont moins acheteuses que les garçons ; elles ont davantage tendance à se faire offrir du cannabis ».

Des profils plus perturbés

Malgré un usage en hausse au sein de cette population, la fréquentation féminine des Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) n’a pas suivi. Dans sa revue Tendances de mars 2016, l’OFDT note que 82 % des jeunes qui ont consulté pour un usage de cannabis étaient des garçons. « Cela suggère que les filles ont moins accès à ces consultations, pour des raisons qui restent à déterminer. D’autant plus que les données montrent qu’elles sont plus réceptives au discours formulé autour des CJC », explique Olivier Le Nézet.

Si l’on en croit les spécialistes sur le terrain, les profils des filles qui viennent en consultation manifestent davantage de troubles anxieux que les garçons. « On retrouve chez elles des usages assez classiques, avec des consommations en groupe ou seules, mais elles sont plus nombreuses à exprimer des angoisses et un manque de confiance comme causes de leur consommation », rapporte Olivier Phan.

Il est fort probable qu’à l’avenir, les jeunes filles investissent davantage les centres qui accueillent les CJC. Car comme les garçons, elles sont exposées à un usage potentiellement problématique. Selon des données de l’OFDT datées de 2011, « 18 % des jeunes de 17 ans ayant consommé du cannabis au cours de l’année présentent un risque élevé d’usage problématique, voire de dépendance (23 % pour les garçons et 13 % pour les filles), ce qui correspond à 5 % de l’ensemble des adolescents de cet âge (7 % pour les garçons et 3 % pour les filles) », peut-on lire dans la publication.

« Il suffit d’attendre et l’on verra arriver ces jeunes filles dans les CJC, poursuit Olivier Phan. Au début des consultations méthadone, on avait 100 % d’hommes ; aujourd’hui, on est à 70 % d’hommes pour 30 % de femmes ».

Manque de moyens 

Mais encore faut-il que ces dispositifs soient en mesure d’accueillir tout ce petit monde, alors que les remontées de terrain font état d’une forte tension dans certains centres, incapables d’absorber toute la demande. « La fréquentation est en hausse, pour les adolescents comme pour les publics moins jeunes », souligne le psychiatre Jean-Michel Delile, vice-président de la Fédération Addiction et responsable de plusieurs CJC dans la région bordelaise.

« Beaucoup de centres sont arrivés à la limite de leur capacité d’accueil ; certains ne peuvent fonctionner qu’à temps partiel, faute de personnel ». Le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale), qui doit être présenté ce vendredi, détaillera les financements alloués à ces structures. Autant dire que l’attente est intense et l’enjeu, de taille, si l’on veut enrayer l’abus de substances et encadrer les usages chez les jeunes.