Hypnotiques, anxiolytiques, myorelaxants, anticonvulsivants... 110 millions de boîtes de benzodiazépines sont vendues chaque année en France. Un volume colossal alors que les effets délétères de ces médicaments sont bien connus. Régulièrement, les autorités sanitaires tirent la sonnette d’alarme, et rappellent les risques d’un traitement trop long ou injustifié. Et pourtant, le rythme ne ralentit pas : au premier semestre 2016, 54 millions de boîtes ont été vendues. Désormais, les médecins s’engagent aussi dans la lutte contre la sur-prescription. Le Collège national des généralistes enseignants a rappelé les règles.
Plus de 10 000 fractures
« La France est un des pays du monde où la consommation est la plus élevée, constate le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à Bordeaux (Gironde). Nous sommes les champions du monde derrière la Corée du Sud. » De fait, deux fois plus de médicaments sont consommés dans l’Hexagone par rapport aux autres pays d’Europe. Nous sommes également quatre fois plus gourmands que nos voisins britanniques.
Les seniors sont particulièrement victimes de ces excès : après 65 ans, un Français sur trois avale des benzodiazépines. « Une bonne partie de cette population en consomme depuis au moins 3 mois consécutifs, indique Sylvie Bonin-Guillaume, présidente de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie. Mais on sait que chez certains, c’est depuis plusieurs dizaines d’années. »
Les effets secondaires des benzodiazépines sont nombreux. En 2013, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a publié un état des lieux, qui sera reconduit à la fin de l'année 2016. Affections du système nerveux, pertes de mémoire, dépendance, abus, démence figurent au tableau. Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables face à ces conséquences. Chaque année, 10 000 à 20 000 fractures sont provoquées par ces médicaments. En cause : les effets myorelaxants des produits, et les réveils nocturnes. Les pertes d'équilibres sont alors fréquentes. La fragilité liée à l'âge fait le reste.
Les généralistes mobilisés
Ce rude constat justifie une mobilisation générale. Depuis plusieurs années, les ventes de benzodiazépines stagnent alors que la Haute Autorité de Santé (HAS) et l’ANSM ont cadré les prescriptions. Le Pr Bégaud y voit deux explications : pendant trop longtemps, les effets de ces médicaments ont été sous-estimés. « C’est notre faute, à nous enseignants du médicament, admet-il. Ces produits sont été banalisés, dénués de tout effet ».
Les autorités ont aussi échoué à véhiculer un message majeur : les traitements prolongés n’ont pas d’intérêt. Au-delà de trois mois, un cycle artificiel de sommeil se crée. Paradoxalement, le sommeil n’est plus aussi réparateur. D’où l’intérêt de limiter le traitement dans la durée.
L’alerte n’a donc pas atteint les généralistes. Or, ce sont les principaux prescripteurs : dans 83 % des cas, ils initient le traitement. Les médecins traitants sont aussi chargés du suivi des prescriptions longues, sans les remettre en question la plupart du temps. Il est donc à espérer que le point du CNGE ait davantage de portée. Car il plaide dans le sens des autorités : un sevrage des personnes sous traitement chronique.
Sylvie Bonin-Guillaume est régulièrement confrontée à ces prescriptions abusives. Aborder le sevrage doit être progressif selon elle, avec une réduction développée en fonction du niveau de dépendance. Mais les usages chroniques doivent aussi être réglés en amont. A cela, elle ne voit qu’une solution : « L’idée c’est, dès la prescription, d’intégrer dans l’ordonnance et le contrat au patient, les modalités d’arrêt », suggère-t-elle. Une telle approche aurait le mérite de mettre l’accent sur le caractère temporaire de ces traitements, et sur les approches de substitution non pharmacologiques. Car après plusieurs années de traitement, le motif d’origine finit par s’oublier et la routine prend le relais.