Le Conseil supérieur de l'Education doit examiner ce mardi le projet de décret relatif à l’aménagement du temps scolaire. Selon ce texte, les semaines des écoliers compteront toujours vingt-quatre heures de cours mais elles seront réparties sur quatre jours et demi en ajoutant de préférence le mercredi matin, avec possibilité de dérogation locale pour le samedi matin.
En contrepartie, les journées d'école seront allégées à 5H30 d'enseignement maximum et 3H30 le mercredi matin, avec une pause déjeuner d'au moins 1h30. Ce qui revient grosso modo à ce que le temps scolaire s’arrête à 15h45 au lieu de 16h30 actuellement. Mais les enfants ne quitteront pas l’école pour autant. Ce temps pourrait être mis à profit pour des « activités pédagogiques complémentaires » assurées par les enseignants comme de l’aide aux élèves en difficulté ou par les communes qui ont aussi la charge des activités péri-scolaires proposées après 16h30.
Le Conseil supérieur de l’Education doit émettre un avis mais le ministre de l’Education national Vincent Peillon a d’ores et déjà précisé que cette réforme des rythmes scolaires devrait s’appliquer dès la rentrée 2013, avec possibilité de dérogation jusqu’en 2014 pour les communes qui en feront la demande.
« Tout ça pour ça », regrette Claire Leconte*. Professeur émérite de psychologie à l’Université de Lille 3 et chercheur en chronobiologie, elle a fait partie des experts sollicités par le ministère depuis l’automne dans le cadre de la concertation sur la refondation de l’école de la République. Dans une lettre ouverte envoyée avant les fêtes et pour l'heure sans réponse, elle a fait part à Vincent Peillon de sa déception face à ce rendez-vous manqué pour changer en profondeur les rythmes de l’enfant.
Pourquoi Docteur : Le projet de décret permet-il de refonder l’aménagement du temps scolaire ?
Claire Leconte : Ce qui est positif, c’est d’abandonner la semaine de 4 jours qui était une aberration pour tous les chronobiologistes. Mais pour le reste, on ne réduit pas fondamentalement la journée, on revient juste à ce qui se faisait avant 2008. C’est un schéma rigide de 9 demi-journées qui est imposé alors qu’il va à l’encontre d’expérimentations que nous menons depuis 16 ans dans un groupe scolaire de Lille et depuis la rentrée dans une autre école de la banlieue lilloise à Lommes. Quand on sait à quel point ces projets donnent des résultats sur le bien-être et les apprentissages des enfants, sur la qualité de vie professionnelle des enseignants et sur l’ouverture de l’école aux parents, j’avoue ne pas comprendre ce qu’on attend pour les développer ailleurs.
« Tout ça pour ça ? On ne peut vraiment pas parler de refondation ! »
Comment est organisée la semaine de ces écoliers pilotes ?
Claire Leconte : Les 5 matinées sont rallongées, il s’agit de 4h découpées en 3 grandes séquences pédagogiques par 2 récréations de 15 minutes. On peut ainsi alterner des activités coûteuses d’un point de vue cognitif avec d’autres qui le sont moins et cela évite de reléguer les activités physiques, scientifiques ou l’art plastique l’après-midi. Par exemple, les enfants vont commencer la matinée par de l’expression orale puis partir à la piscine et revenir faire des mathématiques en fin de matinée. La pause méridienne dure 2 heures et est vraiment centrée sur le repos : lecture, jeux d’échecs … Deux après-midis de 2 heures sont consacrées à la classe sous forme plus ludique avec des jeux mathématiques ou d’expression orale. Et les 2 autres après-midis sont des parcours éducatifs assurés par des associations locales d’éducation populaire. Les enfants ont le choix entre astronomie, initiation à la philosophie, éducation à la citoyenneté, cinéma, théâtre, jardinage, cirque …
Mais il faut que les communes aient un tissu associatif très riche pour pouvoir assumer toute cette diversité d’activités ?
Claire Leconte : Dans les municipalités des zones très rurales, il serait probablement plus compliqué de trouver des associations pour intervenir dans les écoles. Quoique, il y a dans beaucoup d’endroits des associations d’enseignants à la retraite qui montent bénévolement des ateliers de lecture de contes, d’écriture pour monter un journal. Si on cherche vraiment, on peut trouver des associations !
Et pour la plupart des autres collectivités, c’est juste le travail de mise en évidence des ressources disponibles qui n’a jamais été fait. Les élus que je rencontre partout en France le reconnaissent volontiers, les collectivités financent beaucoup de choses mais chacun des services a une connaissance parcellaire des associations de son secteur et personne ne sait ce que fait le service d’à côté. Il y a en réalité beaucoup plus de ressources que les élus ne le pensent. Mais ça ne peut pas se faire en 3 mois, cela me paraît donc illusoire de croire que de tels projets vont pouvoir se mettre en place d’ici septembre 2013.
Les collectivités locales sont réticentes à cette réforme et disent ne pas avoir les moyens de financer ces activités péri-scolaires...
Claire Leconte : Ça n’est pas qu’une question de moyens, c’est vraiment une question de choix politique des municipalités. Est-ce qu’on préfère un rond-point supplémentaire ou un projet éducatif ? En plus, je pense vraiment que si ce travail de recensement des activités déjà existantes était fait, le problème des moyens se trouverait déjà grandement résolu. A défaut, on va se contenter de trouver comment occuper les enfants pendant ¾ d’heure en fin de journée surveillés par des gens peu investis. Il y aura déjà le temps de la récré, celui du goûter, bref au maximum, une demi-heure vraiment consacrée à l’activité. Alors que quand on y consacre une après-midi entière, on peut par exemple emmener les enfants visiter le tribunal et rencontrer un procureur ou un avocat, ce qui donne du sens à l’activité. Mais ça n’est possible que si on a du temps pour le faire.
Les activités péri-scolaires sont à peine abordées dns le décret …
Claire Leconte : C’est vraiment dommage. Si on veut véritablement aménager les temps de l’enfant, il faut qu’on donne autant de valeur au temps scolaire qu’au temps non scolaire. C’est même une erreur de réduire le problème au rythme scolaire. Le temps scolaire représente moins de 10% du temps de vie de l’enfant. Beaucoup d’entre eux sont à la garderie le matin et le soir, à la cantine le midi, au centre de loisirs le mercredi et pendant les petites vacances voire en colonie pendant les grandes vacances, ils passent beaucoup plus de temps en collectivité en dehors école. Tabler toute la réforme sur le seul temps scolaire est très regrettable.
Comment expliquer alors que toute cette montagne de concertation ait finalement accouché d’une souris ?
Claire Leconte : Je pense qu’il y a d’une part la forte résistance au changement de notre pays qu’il ne faut pas négliger et malheureusement une vraie méconnaissance de la population et des élus sur ce qui pourrait être fait autrement, comme nous le faisons dans les sites pilotes. Contrairement à ce qui se passe avec ce décret, les enseignants sont les premiers partants. Ils ont en face d’eux des enfants disponibles, heureux de venir à l’école et d’apprendre, ils retrouvent du temps pour se réunir et travailler en équipe les 2 après-midis où leurs élèves font d’autres activités, ça change tout !
La seule explication que je vois au manque d’ambition de ce décret, c’est la volonté des politiques de ne prendre aucun risque à l’approche des municipales de 2014. Ce que je trouve très désolant. Quel risque y-a-t-il à ouvrir dans chaque ville une réflexion qui associe toute la population pour un mieux vivre des enfants à l’école ? Au lieu de cela, les collectivités locales vont pouvoir se contenter de faire 45 minutes de garderie supplémentaires en fin de journée. Elles n’auront aucune obligation à mettre en place de véritables activités.
Il y a un autre changement apporté par ce décret, c’est l’école le mercredi matin et non plus le samedi. Ce n’est pas ce que préconisaient les chronobiologistes ?
Claire Leconte : Ce n’est pas non plus ce que veulent tous les parents, quoiqu’on en dise. Même les parents divorcés reconnaissent qu’avec la fin de l’école le samedi matin, les papas qui n’ont leurs enfants que le week-end ont perdu tout contact avec l’école et les enseignants, ce qui est tout à fait dommage. Et sur le plan chronobiologique, nous avons toujours défendu l’idée d’éviter un trop long week-end qui dérégule complètement le rythme veille-sommeil des enfants. Ce qui est plus rarement le cas du mercredi puisque dans de nombreuses familles, comme les parents travaillent tous les deux, les enfants vont au centre de loisirs et gardent donc un rythme régulier, à la différence du samedi. On en voit les effets le lundi avec des enfants fatigués. Sans compter qu’il y a de plus en plus d’enfants qui dès la maternelle ont la télé dans leur chambre et ce quelque soit le milieu social …
« Un long week-end dérégule beaucoup plus le rythme veille-sommeil de l’enfant que la coupure du mercredi ».
Mais le fait que les enfants aient la télé dans leur chambre et ne dorment plus assez, ce n’est même plus une question de rythme scolaire. On sort du rôle de l’école ?
C’est vrai mais lorsqu’on monte un projet éducatif, on a forcément un travail qui se fait avec les familles et cela amène des prises de conscience. La majorité des parents est persuadée que faire la grasse matinée le week-end compense tout le reste. Non, la grasse matinée, c’est juste du temps perdu. La sieste peut permettre de compenser un manque de sommeil mais pas la grasse matinée. Et chez l’enfant, ce qui compte avant tout, c’est la régularité. Or il y a une mauvaise habitude qui consiste à aller se coucher plus tard quand il n’y a pas classe le lendemain. Ce n’est pas une volonté de mal faire, c’est souvent une méconnaissance des parents.
A partir du moment où on mène une réflexion globale sur les temps de l’enfant et son rythme biologique, tous ces messages passent et certaines erreurs éducatives se corrigent d’elles-mêmes. Il y avait avec cette concertation une véritable opportunité pour changer les choses en profondeur, c’est vraiment dommage.
« Les parents sont persuadés à tort que la grasse matinée le week-end compense le manque de sommeil de la semaine ».
Entretien réalisé par Afsané Sabouhi
* Des rythmes de vie aux rythmes scolaires, quelle histoire ! par Claire Leconte. Collection « Les savoirs mieux » aux Presses Universitaires