Du karaté dans un service de cancérologie ? Voilà qui paraît hautement improbable. Et pourtant, c’est ainsi que la CAMI Sport et Cancer a commencé son activité en l’an 2000. En 16 ans d’existence, l’association est devenue une fédération, et a élargi son public. A l’hôpital Armand-Trousseau (Paris), les enfants peuvent faire du sport dans leur service depuis le mois de janvier 2015. Cette pratique peut sembler incompatible avec l’état de santé dégradé de ces jeunes patients. Mais c’est en fait tout le contraire : l’exercice aide à mieux affronter la maladie. L’Institut Curie (Paris) l’a lui aussi bien compris. Voilà 7 ans que le service de pédiatrie propose de telles activités. « L’idée, c’est de se réconcilier avec son corps que la maladie a trahi, explique Corinne Fel, éducatrice jeunes enfants à l’Institut. Il s’agit de reprendre plaisir à être dans son corps. »
Retrouver ce plaisir n’est pas chose aisée. La chimiothérapie, les greffes et autres ponctions lombaires sont fréquentes en oncologie pédiatrique. Le plus souvent, ce sont les nausées et l’extrême fatigue qui empêchent le patient de sortir du lit. Sans compter la limite majeure qu’opposent les chambres stériles. « Il existe des limites physiques, mais le handicap n’est pas une gêne », souligne le Dr Daniel Orbach, pédiatre à l’Institut Curie. Même dans cette situation, des solutions existent. La CAMI, installée en permanence à l’hôpital Trousseau grâce au soutien de l'association Laurette-Fugain, se rend directement dans les chambres et propose un accompagnement individuel.
Un prétexte pour l’exercice
Qu’ils soient en tenue de sport ou en habit chirurgical, les éducateurs médico-sportifs réalisent un bilan initial et adaptent l’exercice aux exigences physiques. « L’objectif c’est d’arriver avec une belle énergie et un grand sourire pour instaurer une connivence avec l’enfant », précise Jean-Marc Hubert, qui officiait dans l’hôpital jusqu’à récemment. L’activité, intégrée au parcours de soins, varie selon l’état du jeune malade. Mais elle se maintient à raison de deux séances par semaine tout au long du traitement, qui le plus souvent dure quatre à cinq semaines.
Sébastien Ruffin, de l’association Premiers de cordée, insiste sur la nécessité de s’adapter en permanence au contexte et au patient. « On est à l’opposé d’une activité classique en club », développe-t-il. Il est ainsi courant de choisir des ballons en mousse et de transformer les sports collectifs en jeux de balle. « Le sport est un prétexte pour la dépense physique », selon lui.
De gros efforts d’ajustement sont nécessaires de la part des éducateurs. Mais ils se révèlent payants, particulièrement en cancérologie pédiatrique. Trois grands types de bénéfices émergent. D’abord, le sport permet de réduire les risques de récidive. La CAMI met surtout l’accent sur la lutte contre les effets secondaires des thérapies. Maintenir un dynamisme physique préserve les muscles par rapport à un alitement permanent. Or, « on sait qu’on supporte moins les traitements avec la perte de masse musculaire », indique Thomas Ginsbourger, coordinateur national de la CAMI.
Un réflexe à développer
Même sur le plan du bien-être, rester actif a un bénéfice. Moins anxieux, moins stressés, les jeunes patients affirment aussi se sentir mieux dans leur corps. « C’est un effet indirect mais majeur », aux yeux du Dr Daniel Orbach. Il y voit un outil particulièrement utile pour la réhabilitation de ses malades. En effet, quoi de mieux que de poursuivre une existence similaire à celle d'avant le cancer ? La scolarisation est un volet, l’activité physique un autre. « Récemment, on a suivi une fille qui avait passé trois semaines en chambre stérile. Pour sa première sortie, elle a passé une heure à jouer au tennis », illustre Corinne Fel. Une belle manière de revenir à la vie courante.
Une littérature plus tiède
La littérature scientifique n'est pas tout à fait unanime concernant les bénéfices de l'activité physique chez les patients. Si les revues d’études affirment toutes que l’approche est sûre et efficace, même en phase aiguë de traitement, elles se montrent plus tièdes sur les effets concrets. Une revue Cochrane estime que les résultats ne sont pas assez convaincants pour l’heure, en raison de faibles échantillons. Elle reconnaît tout de même un impact positif sur la souplesse des enfants, leurs capacités cardiorespiratoires, leur tonicité musculaire et sur la qualité de vie globale.
Mais faire entrer le sport dans les services d’oncologie pédiatrique est un réflexe encore rare. « Le principal écueil, ce sont les financements », déplore Thomas Ginsbourger. La CAMI tente de développer des partenariats pour parvenir à installer d’autres permanences. En 2015, la fédération a accompagné 41 jeunes patients, principalement âgés de 11 à 15 ans. Elle espère en intégrer davantage en cette année 2016.